Critique

Sherlock Holmes Chapter One

CactusSinger
Publié le 11 décembre 2021
Sherlock Holmes Chapter One

Développeur

Frogwares

Éditeur

Frogwares

Date de Sortie

16 novembre 2021

Prix de lancement

44,99€

Testé sur

PC

Après avoir été au cœur d’une longue bataille juridique face à l’éditeur Nacon au sujet de leur dernier jeu, The Sinking City, Frogwares nous revient avec un nouvel opus de sa série phare, mettant en scène le plus célèbre des détectives : Sherlock Holmes. Un projet très ambitieux, qui tente le pari de raconter la genèse du détective, le tout emballé dans un tout nouveau monde ouvert. Le trop plein d’ambition étant souvent l’ennemi des productions AA, le passage au monde ouvert (et ses défauts inhérents) était-il le choix le plus pertinent pour faire évoluer la formule Sherlock Holmes ?

Cela fait bientôt deux décennies que Frogwares planche sur sa série des Sherlock Holmes. Depuis 2014 et l’épisode Crimes and Punishment, le studio propose au joueur de vraies enquêtes, où tous les indices ne sont pas collectés et automatiquement ajoutés dans notre carnet. Au contraire, les différentes conclusions auxquelles nous pouvions arriver étaient souvent toutes autant crédibles les unes que les autres. Il fallait alors se baser sur ses propres observations, des détails intelligemment placés ici et là, ou simplement suivre notre instinct de détective en herbe pour espérer arriver à la bonne conclusion, et ne pas faussement accuser un innocent (du moins pour le crime qui nous intéressait). Un vrai tour de force qui s’était malheureusement retrouvé bien moins maitrisé dans sa suite The Devil’s Daughter.

Judge, jury and executioner

Bonne nouvelle ici, ce nouvel opus reprend le principe pour toutes ses grandes enquêtes. Nos conclusions peuvent mener à différents coupables (jusqu’à 3) que l’on peut ensuite décider de faire arrêter ou de laisser libre. Un choix moral qui vous appartient. On se trouvera alors parfois devant des dilemmes moraux qui nous feront peser le pour et le contre, de longue secondes voire minutes avant de décider si le moindre mal, ou le bien commun, doit l’emporter sur la justice pénale. D’autant que la qualité des « longues » enquêtes est plutôt au rendez-vous. Certes toutes ne se valent pas, et certaines peuvent même parfois avoir un côté un peu ridicule, voir comique, qui pourrait en gêner certains. Cependant, l’ensemble reste tout de même plus que satisfaisant et l’on retrouve plusieurs fois les sensations obtenues lors de Crimes and Punishments. À l’inverse, monde ouvert oblige, on trouvera aussi des petites (en)quêtes de remplissage pas forcément passionnantes.

Au niveau du gameplay des enquêtes, on retrouve les classiques tels que le carnet de note où sont stockés tous les indices glanés, ainsi que le « mind palace » de notre Sherlock où l’on utilisera ces différents indices pour arriver aux conclusions voulues. Une nouveauté cependant, le système d’épinglage d’indices est nécessaire pour déclencher certaines interactions, pour pouvoir par exemple poser des questions aux passants sur un point précis (comme trouver un lieu sur la carte), ou détecter des indices spécifiques grâce aux sens aiguisés de notre détective. Au cours de notre enquête, on sera également amené à reconstituer la scène de crime dans l’esprit de Sherlock. Pour se faire, il faut choisir à chaque point d’intérêt (correspondant à des indices trouvés sur place) une scénette entre plusieurs possibilités. On retrouve également la possibilité de jouer au petit chimiste pour analyser les différentes substances trouvées lors de l’enquête dans un nouveau mini jeu, plus proche d’une épreuve des chiffres et des lettres que de la vraie chimie pour les nuls. Pas vraiment la partie la plus intéressante du gameplay. À noter finalement que, comme c’est le cas dans la plupart des productions actuelles, on a également la possibilité d’afficher les zones interactives dans l’environnement (évidemment désactivable dans les menus).

Emo teenager ?

Parlons maintenant d’un des points qui a beaucoup fait réagir au moment de l’annonce du jeu… le nouveau look de notre détective. Exit le chapeau « deerstalker » et la pipe, on incarne ici un jeune Sherlock fraichement arrivé sur l’île de son enfance, Cordona, pour y visiter la tombe de sa défunte mère, Violet Holmes. Un voyage entrepris dans l’espoir de se remémorer des souvenirs enfouis par son alors jeune lui, afin de pouvoir enfin faire son deuil. On trouve ici un Sherlock déjà arrogant, souvent déplaisant lors de ses interactions sociales, et clairement l’empathie n’était déjà pas vraiment son fort. On est donc toujours en terrain connu de ce côté-là.

Exit également le Dr. Watson, remplacé ici par son ami de toujours, Jon. Toujours là pour challenger le joueur et commenter les évènements. Un bon penchant à Sherlock, Jon démontrant bien plus d’empathie que celui-ci, et arrive souvent à nous faire sourire par ses remarques pleines d’esprit. Un personnage central de l’histoire, et l’on comprendra vite son importance en tant que protecteur émotionnel de souvenirs oubliés, ou plutôt réprimés, du jeune Sherlock qu’il nous faut maintenant retrouver.

Pour en revenir au relooking de Sherlock, ce n’est au final pas du tout un problème. Tout d’abord parce qu’on s’y habitue assez vite, et même si ce n’était pas le cas, le jeu met en place un système de costumes assez complet, permettant de changer son apparence comme on le souhaite. Un système évidemment aussi utilisé pour avancer dans certaines enquêtes, pour infiltrer des endroits normalement fermés à notre détective, ou pour obtenir plus facilement des infos auprès de passants, souvent plus enclins à partager leurs connaissances avec quelqu’un de la même classe sociale.

The Witche… Euh Sherlock Holmes : Wild Hunt

L’autre gros changement qui posait le plus de questions, le passage au monde ouvert. Proche d’un RPG, le jeu présente une aire de jeu ouverte, avec des (en)quêtes secondaires que l’on peut récupérer, par exemple sur le tableau de bord de la police ou encore en écoutant des passants parler, mais on trouvera aussi des activités annexes comme des chasses au trésor ou l’arrestation musclée de brigands dans des arènes prévues à cet effet (nous reviendrons sur le gameplay action plus loin). Évidemment rien d’obligatoire ici et on peut se contenter de suivre l’histoire principale si on le souhaite. En guise de récompense on gagnera un peu d’argent pour acheter plus de costumes et accessoires de déguisement, ou encore de racheter le mobilier de la famille Holmes vendu aux enchères après le décès de Violet.

Au niveau de la zone de jeu, on quitte Londres et Baker Street (snif), pour l’ile méditerranéenne de Cordona. Une île possédant différentes influences culturelles (italienne, turque…), où la colonialiste Grande Bretagne a posé ses valises sans vraiment demander la permission. La carte est suffisamment grande et remplie, sans non plus paraitre immense, et on aura la possibilité d’utiliser les voyages rapides pour se déplacer. Les développeurs ont également eu la très bonne idée de ne pas mettre de jauge d’endurance lorsque l’on sprint d’un endroit à un autre. Clairement le jeune Sherlock est sportif. On retrouve aussi d’autres aspects empruntés à un certain The Witcher 3, comme la traque des suspects en suivant leurs traces et empreintes à l’aide de la vision spéciale de Sherlock.

Tireur d’élite

Frogware profite aussi de ce nouvel opus pour revoir sa partie action. Si le gameplay en lui-même reste correct, on sent que cette partie n’est pas franchement nécessaire, ni franchement intéressante. Il s’agit toujours du même pattern, en arène, avec des ennemis qui arrivent par un ou par deux et qu’il faudra immobiliser sans les tuer en visant un de leurs points faibles, ce qui aura pour effet de les distraire suffisamment longtemps pour vous permettre de les finir au corps à corps à l’aide d’un QTE. C’est souvent un peu ridicule, on voit des ennemis porter des bouteilles inflammables bien en vue sur leur torse ou leur dos, ou se rendre parce qu’on a réussi à tirer sur leur chapeau. Quoiqu’il en soit, ça reste facile une fois qu’on a saisi le principe, et ça ne vous bloquera pas dans votre avancée (ce qui est le minimum demandé à une phase d’action d’un jeu d’aventure…). Ces séances peuvent paraitre un peu longues mais vous prendront rarement plus de quelques minutes et sont parfois évitables dans certaines (en)quêtes.

Seconde jeunesse

Outre le relooking de notre héros, Chapter One a également le droit à une petite refonte graphique. Frogware et ses Sherlock Holmes ont toujours été à la traine techniquement, sans jamais que cela soit un souci et limite une marque de fabrique. Ici et c’est le cas de plus en plus de productions dites « AA », on remarque qu’ils rattrapent de plus en plus le gap avec les productions gros budget actuelles. Cependant, le jeu alterne le très beau en journée, profitant de superbes effets de lumière et reflets, et le beaucoup moins convaincant la nuit ou à l’ombre. On reste tout de même sur un jeu plaisant à regarder, et l’on regrette au passage l’absence d’un mode photo. On notera aussi le superbe travail au niveau des doublages. Les accents sont travaillés, surtout les accents British et les comédiens pour la plupart font un boulot remarquable.

Est-ce que Sherlock Holmes avait besoin de se retrouver dans un jeu Open World avec ses avantages et ses défauts ? Probablement pas. Ce genre de game design a tendance à diluer l’expérience, la narration et l’intérêt de l’enquête principale. Cependant, Frogwares réussit tout de même à nous offrir un jeu cohérent et assez unique, où l’on se surprend même à prendre plaisir dans certaines activités et surtout à vouloir utiliser nos capacités de détection pour trouver et déterrer tous les mystères de l’île de Cordona. Reste à savoir comment vous voulez consommer ce Sherlock Holmes. Il est possible de finir la quête principale en ligne droite, au risque de rater quelques enquêtes de très bonne qualité. Ou alors, comme moi, vous pouvez décider d’en faire le plus possible, ne serait-ce que pour repousser au maximum l’inexorable conclusion de cet épisode en forme d’adieu à un être cher. Mais c’est aussi là l’avantage d’une préquelle, on sait ce que l’on va retrouver par la suite.

Étonnamment, Frogwares arrive à trouver une formule qui, si elle surprend, tient la route en proposant quelque chose à la fois familier et unique. Déstabilisant au départ, peu aidé par un tutoriel peu clair, on y trouve un jeu au rythme forcément haché par des activités annexes, là où l’on aurait préféré une aventure plus resserrée. Si les nouveautés sont certes en retrait, avec notamment des séances de combat anecdotiques, on se prend cependant rapidement au jeu de la découverte sans voir le temps passer. D’autant que certaines (en)quêtes annexes peuvent aussi se révéler passionnantes. Au final, on est face à un jeu terriblement attachant où l’on retrouve les meilleures qualités de la série récente (les doublages, les enquêtes, le système de déduction et de choix) et la distraction des activités annexes laisse alors vite place aux « grandes » enquêtes que l’on connait bien, dont certaines atteignent la maestria d’un Crimes and Punishments. On se torture les méninges pour arriver à la bonne conclusion et, on l’espère, trouver le bon coupable, pour à la fin décider soi-même du sort de l’accusé. Ici vous êtes à la fois le juge, le jury et le bourreau. Et si c’est ça qui vous intéresse, alors vous pouvez sans soucis foncer dans sa quête principale, même sans vous prendre au jeu du monde ouvert.

Pixel Noir
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