Dossier

Larian, le C-RPG qui s'affirme

Howler
Publié le 7 septembre 2023

Avec le temps, je me rends compte que j’ai bien plus tendance à aimer les versions hybrides des RPG. Bille en tête, je parlerai d’Action-RPG, évidemment avec les Witcher/Dragon Age ou encore la branche immersive sim avec Deus Ex. J’ai fui comme la peste les gros RPG touffus, avec une proportion affolante de textes gigantesques, du lore à foison, mais un core gameplay souvent très peu accueillant (et en même temps, on n’est pas là pour ça). Mais depuis 2014, à la sortie de Divinity Original Sin, Larian a su créer une formule qui met en péril tous mes préjugés. On peut jouer à un RPG pur et dur, sans que l’apprentissage des règles et de l’univers demande de poser des RTT, et avec un gameplay vraiment fun, aux multiples subtilités. Et si Larian a ramé quinze années avant d’arriver à trouver les outils adaptés, le cap a été gardé par le navire néerlando-belge pour arriver à bon port, et chaque jeu sorti n’a été qu’une étape pour arriver à ce qui nous intéresse : Baldur’s Gate 3.

Larian à prouver

Oui, on va causer de cette nouvelle anomalie du jeu vidéo. Et par anomalie, on parle plus de miracle, le genre de choses qui n’arrivent qu’en de très rares cas par décennie, dans lesquels on trouve des titres qui ont tout pour se casser la gueule, et qui pourtant marchent lors de la sortie sur galette. Avec les révélations de J.Schrier sur les développements chez Bioware (pour ne citer qu’eux), on a appris que, pour Mass Effect et Dragon Age par exemple, il y avait toujours une « magie » en fin de développement qui rendait tout possible malgré un crunch intensif, couplé à des galères de production qu’on connait bien maintenant. Du haut de mes *regarde son compte Steam* 80h de jeu actuelles, il est encore difficile pour moi d’exprimer ce qui fait que BG3 est probablement ce qui se fait de mieux, sans avoir une once de recul et d’objectivité. J’ai cependant envie de parler de ce miracle qui occupe autant d’espace dans ma tête que sur mon SSD.

Comme dit plus haut, Larian a toujours voulu arriver à l’étape qu’est BG3. Ils avaient déjà exprimé leur envie d’acquérir la licence Baldur’s Gate en 2014, mais Wizards of the Coast (l’ayant droit) trouvait le studio encore trop inexpérimenté. Après le succès très encourageant du premier Original Sin, le deuxième opus n’a été qu’une confirmation de leurs compétences très calibrées pour faire un RPG au plus proche d’une expérience de D&D, sans forcément avoir les règles officielles, mais des systèmes organiques et des histoires à différents embranchements, pour garder tout le côté imprévisible inhérent à cette activité. Du coup, ce qui semble être un miracle se dessine un peu plus comme de l’expérience et de la gestion de projet sur le très long terme. Est-ce quelque chose que pourrait faire n’importe quelle entreprise, petite comme grande ? Est-ce que lorsqu’on est Bethesda, InXile ou Obsidian, on peut se permettre de proposer ce type d’expérience ?

Larian possède un parcours assez classique au final : une petite équipe indépendante qui se fait la main en bricolant quelques projets de commande ou en se liant à des éditeurs pour réaliser un projet de moyenne envergure. Puis avec le financement participatif et la popularisation des early access, il est de plus en plus « facile » (sans pour autant être simple) de faire un jeu indépendant, tant que le projet est solide. Malgré ça, Original Sin aurait pu provoquer la banqueroute à la fin du développement, et si Swen Vincke n’avait pas jonglé avec le budget pour trouver 1.5 million de dollars, cet article serait un post mortem. À plusieurs reprises, Vincke s’est d’ailleurs lui aussi démarqué comme une anomalie dans cette industrie. Il a fondé Larian Studios en 1996 et n’en a pas bougé, en assumant bien plus sa position de Directeur sur les dernières productions, passant par tout un tas de postes : Game Designer, Programmer, ainsi qu’à l’écriture et même au doublage (mais bon, c’était pour leur premier jeu, ça ne compte qu’à moitié).

Et si Vincke pourrait ressembler à tous ces fondateurs de studio qui finissent menottés par les décisions d’un avare éditeur, la philosophie d’indépendance créative est sérieuse chez lui et toute son équipe. Ils n’aiment pas devoir des comptes et leur début de développement a été quelque peu tumultueux, en témoigne ce qu’il raconte à Eurogamer avec « The Mage, The Lady and The Knight » :

« [Le problème] C’était l’éditeur et les distributeurs : nous n’avions aucun moyen d’avoir les fonds d’édition si le jeu n’était pas comme Diablo. Même The Mage, The Lady and The Knight aurait pu sortir, mais nous aurions dû le faire passer en 16-bits parce que Diablo était en 16-bits. J’avais un agent à l’époque qui m’a dit « ça n’arrivera pas ». Si on dit « action », les chiffres sont multipliés par 10. Si on dit « tour par tour », tout est annulé. »

Swen Vicke – Traduit de l’article d’Eurogamer

Il explique lui-même que l’équipe avait passé trop de temps à écouter les éditeurs, avec très peu de résultats derrière, et qu’une fois les droits de Divinity 2 récupérés, il était important que Larian face ses propres choix.

ça plane sur moi

Vincke dit lui-même être très flatté de voir tous les grands rôder autour de lui en se frottant les mains et le chéquier, mais Larian ne sera jamais à vendre. Après ses déboires du passé, le passage en auto-gestion est la chose la plus positive qui soit arrivée au studio : grâce aux possibilités d’auto-financement modernes, il est bien plus simple de faire un jeu pour soi et pour sa communauté. Pourtant, cela demande une prise de risque qui est, certes, nécessaire, mais pas à la portée de n’importe qui. Peu de studios auraient pris le pari de jouer avec l’argent d’un projet parallèle pour payer des taxes en retard en se reposant sur une éventuelle grosse rentrée d’argent après un financement participatif concluant et des jolies promesses de ventes.

Malgré tout le contexte, il subsiste encore une incohérence avec Larian : comment des devs aussi peu nombreux (en comparaison de bien d’autres devs de AAA) ont pu délivrer une copie aussi complète que Baldur’s Gate 3 ? Alors que l’industrie des gros nous rabâche sans cesse que le jeu vidéo coûte de plus en plus cher et nécessite de plus en plus de monde, comment 400 employés ont pu sortir un jeu comportant 170h de cinématiques, toutes doublées et filmées en motion capture ? En sous-traitant évidemment, mais tout en gardant une cohérence importante, comme l’explique l’excellent thread d’Aliona Baranova, Performace Director sur le jeu. Rien n’est laissé au hasard.

Je n’ai malheureusement pas pu rencontrer Vincke en personne pour lui poser toutes les innombrables questions que j’ai en tête, j’aimerais tout de même comprendre comment il est possible d’arriver l’air aussi serein sur quelque chose qui semble nous dépasser, à tel point que bon nombre de développeurs tirent la sonnette d’alarme pour demander aux gens de ne pas considérer BG3 comme une nouvelle norme du C-RPG. Cependant, il y a une certitude avec laquelle n’importe quel grand·e patron·ne de jeu vidéo, même Vincke, sait : le jeu vidéo change en permanence et les standards imposés aujourd’hui mourront demain. Ce qu’a accompli Larian doit surtout donner de l’inspiration pour la suite et donner de nouvelles idées, réapprendre les règles qui régissent la construction d’un jeu, tant sur le plan technique, créatif et humain. Et en parlant d’humain, il est appréciable de voir que le studio évitera de tomber dans le piège « Cyberpunk 2077 » en ne se risquant pas à faire des futurs projets plus gros que BG3, évitant de cramer son équipe et sa réputation. Chapeau, Swen.

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