Fist of the North Star: Lost Paradise

En théorie, combiner Hokuto no Ken (Ken le survivant) avec Ryu Ga Gotoku (Yakuza) devrait relever du bonheur tant les deux franchises partagent des valeurs similaires entre leurs deux héros au grand cœur, défendeurs des faibles face à la cupidité de l’humanité ainsi que leur interprétation très passionnelle et romantique de la masculinité. Hokuto Ga Gotoku, alias Fist of the North Star : Lost Paradise pour sa sortie en Europe, est un jeu Yakuza avec une couche de peinture aux couleurs du manga de Buronson et Tetsuo Hara. Ni totalement un Hokuto no Ken, ni vraiment un Ryu Ga Gotoku, il se retrouve dans un entre-deux qui n’a jamais su – ou n’a jamais pu – choisir quoi être. Malheureusement, il en résulte par conséquent des dysfonctionnements qu’il n’est pas vraiment possible de pardonner.



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Le manga de Ken le survivant raconte une fantaisie post-apocalyptique dans un monde ayant subi une guerre nucléaire totale. Désormais l’anarchie règne, tandis que les quelques humains restants tentent de survivre entre des conditions de vie déjà précaires et les gangs de criminels qui n’appliquent que la loi du plus fort. Au milieu de tout cela existe Kenshiro, choisi pour être l’héritier du Hokuto Shinken, un art martial assassin qui consiste à viser les points vitaux du corps pour le détruire de l’intérieur. En somme, Kenshiro est un expert en acupuncture.

Lost Paradise démarre exactement au moment où Kenshiro parvient enfin à faire face à Shin, l’héritier du Nanto Koshu Ken, un autre art martial assassin détruisant lui les corps de l’extérieur. Ce dernier fut aussi bien responsable de la célèbre cicatrice que Ken arbore sur son torse, que de l’enlèvement de sa chère et tendre Yuria. Apprenant qu’elle est toujours vivante, Ken part ensuite pour Eden, une cité dite légendaire. A partir de là, le scénario parvient de plus en plus difficilement à se maintenir en équilibre en devenant une sorte de best of de la série sans jamais vraiment y trouver un semblant d’âme.

Son scénario pouvait après tout raconter ce qu’il veut, comme dans une sorte de version alternative au manga, si bien sûr celui-ci avait été capable de saisir les nuances de l’univers qu’il essaye de retranscrire. Ken comme Kiryu partageant un caractère similaire, cela aurait dû être chose facile pour l’équipe responsable des excellents Yakuza. Il n’en est malheureusement rien. Hokuto no Ken est le récit d’un voyage dans le désert, un road movie qui n’est pas sans rappeler Mad Max. Le premier péché de Hokuto Ga Gotoku est d’avoir sédentarisé Ken. En transposant le gameplay de base d’un Yakuza avec son quartier fixe et en concentrant les missions autour de celui-ci, ils ont retiré l’essence même de Hokuto no Ken, cette essence du voyage, de l’exploration d’un monde au bord du précipice.

Alors, Lost Paradise propose quand même un buggy pour explorer le No Man’s Land se trouvant en dehors des murs d’Eden, mais nous y reviendrons un peu plus tard. Son second péché est par contre de ne pas avoir su quoi faire de la plupart des personnages qu’il utilise. Les Yakuza ont toujours eu de très nombreux protagonistes et ont en grande majorité toujours su quoi faire d’eux ; à minima de leur donner une humanité. Pour Hokuto Ga Gotoku, ce n’est que trop rarement le cas. De nombreux personnages emblématiques des aventures de Ken vont tour à tour apparaître dans Lost Paradise pour ne souvent se résumer qu’à leur plus simple expression.

Le traitement accordé aux deux enfants ayant suivi Ken comme Bat et Lin, se résume à en faire des pnj de seconde zone, bien loin de ce que Haruka a jamais pu être pour Kiryu. Les « frères » de Ken sont également présents mais jamais véritablement développés ce qui fait qu’au final, pour le chaland ne connaissant pas bien l’univers de Hokuto no Ken, tout ces personnages pourront paraître aussi creux que le peu de profondeur qui leur aura été accordée. En fin de compte, Lost Paradise semble s’être contenté de faire une liste de boss à combattre pour Kenshiro plutôt que de lui donner un base émotionnelle sur laquelle se construire, chose que Kiryu a toujours eu au travers de ses combats.



Hokuto mal affuté

Au final, on ne retrouve pas cet attachement émotionnel que chaque Yakuza ont su construire au travers de leur narration. Pourtant encore une fois, l’univers de Ken s’y prête parfaitement. Ce qui est d’autant plus dommage que le système de combat empruntant en grande partie à celui des Ryu Ga Gotoku, est plutôt bon. Forcément adapté au style de Kenshiro, les combats sont souvent jouissifs dans leur explosion de violence, avec supplément de gore (désactivable) pour la version occidentale. De ce côté-là, ça fonctionne si bien qu’on se demande pourquoi le reste n’a pas suivi. Les nouveaux mouvements qu’apporte Kenshiro sont toujours couplés à des attaques spéciales scriptées à coups de QTE (qu’il est possible de désactiver dans les deux difficultés les plus basses pour rendre le jeu encore plus accessible), et qui mettent en avant à la perfection l’ultra-violence de ce monde de désolation.

Les ennemis explosent conformément au manga dans une gerbe de sang atroce réservant ce titre aux plus âgés et les moins sensibles. J’ai trouvé par contre que le timing des QTE était plus court que dans la plupart des autres jeux du studio. Il y a aussi tout un tas d’activités annexes comme celui de docteur sous forme d’un jeu musical, de barmen, de videur d’une boîte de nuit et j’en passe. Sans parler des histoires secondaires à l’image générale du jeu et bien souvent moins savoureuses que celles des Ryu Ga Gotoku. Malheureusement, tout cela résonne plus avec Kiryu qu’avec Kenshiro. Fist of the North Star : Lost Paradise aurait pu se contenter de n’être qu’un jeu Ken le survivant potable s’il avait évité certains écueils. Il n’aurait pas été le meilleur, mais sans être le plus mauvais non plus, tant il est loin d’être chiche en contenu et que ça bastonne bien.

Ce qui m’aura le plus dérangé, ce sont certains choix de game design qui le rendent souvent insupportable à jouer. Outre le fait qu’il ne tourne pas sur le dernier moteur maison, ce qui après Yakuza 6 et Kiwami 2 pique un peu, on est en droit de se demander pourquoi avoir ajouté à l’insulte cet aspect monde ouvert. L’intrigue principale nous obligera à explorer l’extérieur d’Eden dans un désert très laid et peuplé de méchants en véhicules comme autant de combats aléatoires à la Final Fantasy. Le buggy est qui plus est loin d’être particulièrement maniable pour couronner le tout. Et si cela ne suffisait pas, la conception de certaines missions laissent grandement à désirer, comme celle qui m’aura particulièrement frustré vers la fin du jeu, symptomatique du problème.

Le chapitre en question m’envoya à l’autre bout du désert pour que Kenshiro se rende compte que son buggy ne passera pas à cause d’un rocher (qu’un coup de Hokuto devrait normalement détruire en deux secondes). Retour donc à la case départ avec obligation de farmer dans le désert les matériaux nécessaires à l’instrument qui servira à se débarrasser des dits rochers. Il y a beaucoup de grind dans Lost Paradise là où les derniers Yakuza évitaient habilement de trop nous le faire sentir. Régulièrement le jeu bloque volontairement toute progression en obligeant soit à trouver ces ressources de craft (au secours), ou en nous obligeant à faire de longs trajets ennuyeux en buggy. Lost Paradise aurait gagné à se passer de ce monde ouvert au bénéfice d’une carte plus simple et moins coûteuse en ressources humaines qui auraient pu être mises ailleurs ; dans le scénario par exemple.

Malgré les soixante images par seconde et un système de combat bien rôdé, Fist of the North Star : Lost Paradise ne parvient pas à faire oublier un scénario peu inspiré qui fait pâle figure face à n’importe quel Yakuza. Son game design est vieillot et frustrant en ne cherchant qu’à remplir plutôt qu’à donner du sens et une âme à ce qui aurait dû être une réussite. En tant que fan des deux univers qui se collisionnent ici, j’aurai préféré ne jamais avoir eu à regarder dans sa direction.


Si ce n’est pour la baston, les amoureux du manga Hokuto no Ken auront plutôt raison d’aller voir ailleurs ou de simplement relire les nombreux tomes de la saga. Les fans des Ryu Ga Gotoku /Yakuza devront pour leur part ne pas trop espérer y trouver quelque chose de consistant non plus si ce n’est pour le côté délirant de certaines activités annexes qui leur rappellera leur série fétiche. Trop de lourdeurs dans son gameplay le rendent trop souvent ennuyeux à explorer, tandis que son scénario manque clairement d’inspiration. Prenez Kiwami 2 ou rachetez Yakuza Zero sur PC à la place.

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