MEET & BUILD 2018

Voici deux semaines qu’a eu lieu la quatrième édition de MEET & BUILD, un événement belge qui propose tous les ans une pleine journée de conférences. Ce rassemblement cherche avant tout à s’adresser aux professionnels ainsi qu’aux étudiants du jeu vidéo. La vision proposée se veut moderne, et vise à discuter de l’avenir de la profession sous différents angles, mais aussi à préparer (et avertir) une nouvelle génération de passionnés qui s’apprête à faire ses premiers pas dans l’industrie. C’est donc plein d’entrain que je me suis rendu à Charleroi en Belgique pour assister à 7 conférences sur les 13 présentées (toutes en anglais). Les deux salles disponibles proposaient tout au long de la journée des talks aux thèmes bien différents ; il m’a fallu choisir, puis être patient pour rattraper le reste en rediffusion sur internet.


Crédit photo : Leslie Artamonow

L’ensemble du programme est à retrouver ici. Parmi les autres conférences de la journée auxquelles je n’ai pas pu assister, on peut notamment citer celle de Mark Friend sur l’accessibilité et le design inclusif. Je vous conseille vivement de jeter une oreille à tout ça, les vidéos devraient être très bientôt disponibles sur la page Facebook de l’événement.


Data Oriented Design, The Future Of Unity

Crédit photo : Leslie Artamonow

Fabrice Lété

Bien que d’abord inquiet à l’idée de me retrouver perdu au milieu de termes techniques obscures, je suis ressorti très intéressé de cette première conférence. Fabrice Lété, développeur chez Unity Technologies (l’entreprise qui développe Unity, donc), a su proposer une conférence qui représentait parfaitement le but de MEET & BUILD : un sujet suffisamment précis pour intéresser des professionnels du milieu, mais proposé avec assez de pédagogie pour s’adresser à un public plus large.

Il était ici question de l’avenir du moteur Unity, et plus particulièrement de ses futurs gains en terme de performance. C’est bien là un domaine dans lequel le moteur pêche beaucoup. L’idée est de s’éloigner progressivement du paradigme actuel de la programmation orientée objet, pour se rapprocher du Data Oriented Design, afin d’y trouver un net bénéfice de performances (c’est aussi un des buts du langage JAI développé par Jonathan Blow).

Cette nouvelle philosophie de programmation va être progressivement intégrée à Unity au fil des prochaines années, afin de laisser le temps aux développeurs de s’y habituer, et devrait à terme permettre aux petits comme aux gros projets d’y trouver leur compte.


Quel rôle pour le jeu vidéo dans la presse généraliste ?

Crédit photo : Leslie Artamonow

Corentin Lamy et William Audureau

On a alors enchaîné sur une conférence au contenu très chargé, et tout aussi passionnant. Corentin Lamy et William Audureau, journalistes de la rubrique Pixels chez Le Monde, sont venus discuter des enjeux et des obstacles de la présence du jeu vidéo dans les médias généralistes. Ils se sont exprimés au travers du prisme de leur propre expérience, cela faisant déjà 4 ans que la rubrique existe.

Ils expliquent que tout est articulé autour de trois temps et de trois cercles. Les trois temps représentent les types d’articles publiés sur Pixels. On trouve d’abord les actualités, qui représentent les informations brutes, à chaud. Puis viennent les rebonds sur l’actualité, qui consistent à ne pas simplement donner une information mais bien à raconter quelque chose, à contextualiser et élargir le cadre, à ne pas simplement communiquer mais faire réfléchir. Élément crucial qui, d’après eux, manque souvent à la presse vidéoludique. Puis vient le troisième temps, le temps des reportages, plus longs à réaliser mais plus valorisant pour le journaliste.

A ces trois temps viennent s’ajouter une méthode en trois cercles, qui leur permet de toucher des publics différents. Le premier cercle s’adresse aux joueurs, qui viennent chercher des tests de jeux et des informations spécifiques dans un domaine qu’ils connaissent bien. La volonté de Pixels est ici de s’éloigner du concept de notes, préférant essayer de transmettre la volonté des développeurs plutôt que de conclure sur une simple moyenne arithmétique. Ils produisent également des articles plus pointus, qui parlent de game design ou de programmeurs.

On trouve ensuite le second cercle, qui concerne les gens qui connaissent le jeu vidéo, qui y ont joué mais qui, par manque de temps ou d’envie, ne suivent l’actualité que de loin. A ces gens-ci seront proposés des articles plus généralistes sur les grandes évolutions du monde vidéoludique.

Puis vient enfin le troisième cercle, et peut-être celui qui pose le plus de challenge puisqu’il vise les personnes qui ne sont pas intéressées par le jeu vidéo, et qui ont même parfois un apriori sur lui. Les sujets peuvent ici aller de la psychologie à la violence ou à la dépendance. Le fait d’attirer un public souvent réfractaire les force à être très pédagogues, dans l’optique de présenter le sujet avec le plus d’objectivité possible.

S’en sont suivies plusieurs questions très intéressantes sur la pression juridique et sur le choix des jeux testés. La conférence était assez dense, je vous laisse découvrir tout cela par vous-même (vous pourrez ainsi également profiter de la maîtrise parfaite de Powerpoint de Corentin Lamy).


Epistory Retrospective

Crédit photo : Leslie Artamonow

David Bailly et Sophie Schiaratura

La première conférence de l’après-midi nous a permis de changer complètement de registre, puisqu’il s’agissait d’une rétrospective du développement d’Epistory, un typing game du studio Fishing Cactus sorti en 2016.

Ils sont revenus sur toutes les spécificités liées au genre atypique du jeu, et sur la façon dont le game design a évolué au fur et à mesure qu’ils ajoutaient de la profondeur au gameplay. Il a également été question du processus créatif et de l’identité visuelle du jeu, qui ont découlés des outils utilisés et de la construction par cases de l’univers.

Ils ont ensuite touché au sujet délicat de l’accès anticipé. Epistory étant sorti à la fois en early access et par chapitres, David Bailly et Sophie Schiaratura ont expliqué qu’il a parfois été compliqué de jongler entre corriger des bugs et avancer sur la suite de l’histoire. S’ajoutait à cela une traduction en 7 langues qui était disponible dès l’early access ce qui, ils s’en rendent compte désormais, aurait dû être réservé pour la sortie finale du jeu, au vue de la charge de travail supplémentaire que cela a demandé.

Là encore, c’était une conférence très équilibrée, puisque adaptée à la fois aux professionnels qui pouvaient en tirer les leçons d’un jeu au succès critique et commercial, mais aussi aux novices qui pouvaient y trouver un bel aperçu du processus créatif et du chemin sinueux qui mène vers l’œuvre finale.


A terrible talk about trying to make things slightly less terrible

Crédit photo : Leslie Artamonow

Cécile « Maria Kalash » Fléchon

Maria Kalash, anciennement journaliste chez Canard PC, est venue parler des conditions de travail et du manque de diversité dans le monde du jeu vidéo, mais aussi proposer des pistes pour améliorer la situation. C’est un sujet qu’elle connaît bien, puisqu’elle a participé à l’élaboration du passionnant dossier de Canard PC / Mediapart sur le même thème.

C’était une conférence qui s’adressait à la fois aux futurs développeurs et aux vétérans, afin de leur rappeler à tous les réalités du milieu. Car beaucoup rêvent de ce métier, et débarquent dans une industrie où ils commencent par être sous-payés, où ils font trop d’heures car exploités pour leur passion et où la pression liée à la culture d’entreprise est omniprésente. Et souvent, les débutants choisissent d’eux-mêmes de faire des heures supplémentaires.  Elle enchaîne en rappelant qu’il faut, dans la mesure du possible, toujours privilégier sa vie personnelle, au risque d’être sinon très vite dégoûté par la profession. D’après un sondage de la GDC, la durée moyenne d’une carrière dans le développement de jeux est de 3 à 6 ans. Un chiffre terrifiant qui est tout aussi néfaste pour les travailleurs que pour l’industrie en elle-même : chaque reconversion d’un développeur à bout est une perte nette en terme de compétences et de talent. Il existe alors aussi moins de personnes pour guider et conseiller les nouvelles générations. C’est pourquoi elle a rappelé et souligné l’importance des syndicats, qui sont vitaux pour la protection des droits (il y avait par ailleurs une conférence sur la création du STJV à laquelle je n’ai pas pu assister).

Le talk s’est ensuite tourné vers le manque de diversité du milieu, et pourquoi développer des jeux plus ouverts permet d’attirer un public plus large. C’est là qu’elle a également apporté quelques clés qui permettraient d’apporter un changement positif. Cela passe tout d’abord par le simple fait d’indiquer « égalité des chances » sur une offre d’emploi. Même si cela devrait être théoriquement implicite, le fait de le noter noir sur blanc peut pousser davantage de femmes à postuler. Les femmes postulent majoritairement lorsqu’elles remplissent tous les critères demandés sur une offre d’emploi, tandis que les hommes se contentent de correspondre à la moitié d’entre eux. La structure même de l’entreprise joue également un rôle, puisqu’un système moins pyramidal permet d’encourager la transparence. Il en va de même de l’importance d’avoir des femmes à des postes de managers, ne serait-ce que pour encourager d’autres femmes à signaler tout comportement négatif et abus.

Elle finit par indiquer qu’il faut réussir à séparer vie professionnelle et vie privée, que les collègues doivent avant tout rester des collègues, et qu’il est important d’entretenir les amitiés en dehors du travail.

L’intérêt de cette conférence était vital, puisqu’il est nécessaire de présenter de façon objective les problèmes de l’industrie, afin de prévenir et de former les nouvelles générations.


In Media Res

Crédit photo : Leslie Artamonow

Pia Jacqmart

Pia Jacqmart est narrative designer pour le studio français Cyanide (qui développe actuellement une adaptation du jeu de rôle papier Cthulhu). Le narrative design est un terme relativement récent au sein du développement de jeux vidéo, et désigne le fait d’unir scénario et game design de façon cohérente. Pour la conférencière, les scènes d’action d’un jeu sont cruciales pour transmettre une histoire : le joueur retient bien plus facilement les moments dont il est lui-même acteur. Il s’agit donc d’éviter de l’assommer avec des cinématiques et des explications, mais bien essayer de communiquer avec lui via l’environnement et le gameplay. Pour illustrer ses propos, elle cite par exemple l’introduction de Breath Of The Wild, où le joueur a quasi-directement le contrôle de Link après une très courte introduction, et où on lui laisse le soin de découvrir l’univers. A l’inverse, Deus Ex: Mankind Divided commence par une quinzaine de minutes de cinématiques, ce qui peut avoir tendance à perdre le joueur ou à le voir s’impatienter. C’est un principe qu’on retrouve également dans d’autres médias : « Show, don’t tell« , laisser au spectateur le soin de découvrir et de tirer ses propres conclusions, plutôt que de tout lui servir sur un plateau. Ce n’était apparemment pas le cas au début de Cthulhu, qui commençait par une longue cinématique qui ne répondait pas aux questions que le joueur pouvait avoir. Dans sa version actuelle, la nouvelle introduction du jeu est plus proche du thème, et propose davantage de phases de gameplay. D’où le terme « In Media Res » (« au milieu des choses » en latin), le procédé littéraire qui place le spectateur au centre de l’action.

Elle finira par répéter qu’une grande partie du travail de designer est de couper ce qui est superflu, de ne pas hésiter à alléger.


MEET & BUILD réussit donc son pari de s’adresser à la fois aux professionnels et aux étudiants, tout en présentant l’industrie du jeu vidéo sous tous ses angles, qu’ils soient techniques, créatifs ou humains. La présence de vétérans de l’industrie, aux côtés de journalistes, permet aux conférences d’aborder des thèmes passionnants mais aussi vitaux, surtout si le jeu vidéo souhaite avancer dans une direction plus ouverte, plus humaine et plus inclusive. C’est un objectif très louable que celui de MEET & BUILD, qui cherche à s’adresser aux développeurs d’aujourd’hui et de demain, pour les tenir au courant des dernières avancées mais aussi pour les prévenir du chemin qu’il reste encore à parcourir.

Crédit photo : Leslie Artamonow

Laisser un commentaire