La partie et la partition.
Critique
Evertried
Développeur
Danilo Domingues/Lunic Games
Éditeur
Dangen Entertainment
Date de Sortie
21 octobre 2021
Prix de lancement
17 €
Testé sur
PC
Les âmes perdues et le jeu vidéo contemporain, c’est une histoire qui fonctionne pas trop mal. De Dead Cells à Loop Hero ou Curse of the Dead Gods, le héros peut mourir à loisir et repartir à l’assaut de son ascension/rédemption, lui qui est “entre le monde des vivants et des morts”. Si l’aventure éternelle peut revêtir plusieurs visages, celui des cartes, des dés, de la plateforme, des roulades ou des grands coups d’épées, Evertried tente quant à lui le pari du puzzle tactique au tour par tour.
Jeu de patience
Un damier de 7 cases par 7 cases pour tout terrain de jeu, Lunic Games et Danilo Domingues font dans le minimalisme et convoquent les références collectives des jeux à damier. Avec ses déplacements case par case et ses ennemis qui n’agissent qu’après un mouvement du joueur, le guerrier déchu que l’on incarne nettoie les étages d’une tour carrée dont le sommet est la promesse d’un au-delà plus pacifié, en suivant le fil rouge d’une narration vaguement mystérieuse et sans enjeu malheureusement. À la disposition du joueur, un déplacement d’une case à l’horizontale ou à la verticale, la possibilité de frapper un ennemi sur une case adjacente, et un “sprint” permettant de sauter une case et de traverser ennemis, pièges ou gouffres trop proches. D’apparence simple dans son objectif – nettoyer chaque étage de ses vilains pas beaux – Evertried va bien évidemment corser tout le bazar en proposant plusieurs types d’ennemis et dotant certaines cases de qualités plus ou moins fatales. Des bêtes à cornes chargeant sur toute une ligne, des ennemis ne pouvant être abattus en un seul tour ou d’autres infligeant des dégâts sur les cases adjacentes en expirant, ce petit monde s’ajoute aux dalles qui s’effondrent au déplacement suivant, celles qui gèlent joueur et adversaire pendant un tour et celles qui se trouvent sur le chemin d’un lance-flammes taquin : les dangers ne manquent pas et le déplacement au tour par tour est bienvenu pour anticiper et calculer le moindre mouvement du héros.
Quand c'EST FLOU, c'est qu'il y a un loup
Mais comme a pu le montrer le magnétique Into The Breach par le passé, multiplier les dangers sur un aussi petit plateau nécessite une lisibilité et un travail d’orfèvre sur l’interface, pour donner au joueur le maximum d’informations sur les futurs déplacements ennemis et lui permettre de planifier sa petite chorégraphie mortelle, ici en se décalant d’une case pour qu’un adversaire frappe son collègue au lieu du joueur, là en le faisant tomber dans un trou préalablement et habilement déclenché.
Or, si Evertried est un jeu à la direction artistique plutôt soignée pour qui aime le pixel art mignon – quoiqu’un peu impersonnel, notamment dans le design du héros -, c’est au détriment de la sacrosainte clarté que réclame son système de jeu. Dès le choix des couleurs et du design des monstres, le problème saute aux yeux : une bonne partie des ennemis sont violets, ainsi que les boucliers qui indiquent leur résistance à un premier coup, et il faut s’accrocher au moindre détail pour entrevoir la différence de comportement entre un loup à deux cornes, un loup à trois cornes, un loup à queue jaune et l’autre à queue orange. Un apprentissage dans la reconnaissance des ennemis et de leurs spécificités qui se fait à la dure, mort après mort, alors que des choix de couleurs variées et d’indications au sol des prochains déplacements ou attaques auraient largement suffi. Et quand ce n’est pas un monstre violet qui se comporte différemment d’un autre monstre violet, c’est à la discrétion des effets des différentes dalles qu’il faut faire attention, sans quoi on peut vite perdre un tour, glisser une dalle plus loin, oublier qu’une dalle est en fait un tapis roulant et se retrouver malencontreusement sur le chemin funeste d’une autre boule de poils violette et cornue.
La force d’un jeu du genre étant de mettre le joueur dans des situations tendues mais en lui donnant une maîtrise de tout ce qui se déroule à l’écran, Evertried fait ici l’inverse : entre des ennemis difficiles à différencier et au comportement erratique – ou parfois suicidaire en se faisant dézinguer à la queue leu leu sans grande passion -, certains étages offrent des moments de course poursuite assez lunaires avec des adversaires fuyant le joueur et nécessitant de nombreux sprints et vaines tentatives d’interception. Seuls les boss fournissent suffisamment de lisibilité et de temps pour apprécier leurs mouvements et le moyen de les vaincre, ce qui en fait les adversaires les plus aboutis – tout comme les pièges, qui ont bizarrement fait l’objet d’un soin dont n’ont pas bénéficié les ennemis les plus nombreux.
les jauges contre le jeu
À ces défauts d’informations qui peuvent être surmontés à force de patience et d’aller-retours dans la “Tourpédie”, Evertried ajoute une mécanique qui vient renverser toute la précision et la planification que réclame son gameplay aux intentions proches d’un jeu d’échec. Le guerrier dispose d’une jauge de furie qui offre un plus grande nombre d’éclats – la monnaie – et active certaines capacités passives à condition d’enchaîner les éliminations dans un laps de tours assez court. Et c’est là que le jeu prend le bras de son gamedesign pour le tordre, sous les yeux apeurés du joueur qui a senti très vite que tout allait craquer sous le poids de cette étrange initiative : car, si le jeu se déroule nécessairement au tour par tour, ladite jauge se vide en temps réel. Après avoir dressé le joueur à planifier le moindre mouvement par peur de prendre un coup, à observer la nuance des poils de la moindre bestiole pour être assuré de son comportement, Evertried le pousse sous le bus de la précipitation en temps réel au mépris des conventions… et le joueur est encore un peu plus perdu.
Et puisqu’une deuxième jauge vous aurait certainement manqué, il y en a une ! Chaque déplacement d’une case octroie une charge au joueur, qui peut être utilisée pour déclencher des capacités spéciales acquises contre quelques éclats dans la boutique de chaque série d’étages. Si elles pourraient se montrer salvatrices lorsque les niveaux se veulent plus corsés – dès le deuxième monde, en fait – elles souffrent des mêmes maux que le reste du jeu, nécessitent de foirer leur première utilisation pour enfin comprendre leur fonctionnement et participent pleinement à l’entreprise de démolition du cerveau fragile de la personne qui tient le pad. Les compétences passives, elles, tiennent la route et se révèlent souvent utiles car elles s’intègrent aux contrôles tout simples du personnage, à condition d’avoir un niveau de furie assez élevé pour qu’elles se déclenchent. Et je vois dans vos yeux humides et au tremblement craintif de vos lèvres que vous savez ce qu’implique ce fameux “niveau de furie”…
Evertried a pas mal de cartes en main pour incarner un bon jeu de réflexion et de tactique sur échiquier. Mais il préfère jouer contre son propre camp, en sacrifiant ses mécaniques d’horloger sur l’autel d’une direction artistique et d’un monster design des plus confus. Il fait également sauter les fondations de son système en poussant le joueur à se lancer dans l’urgence et l’incompréhension la plus totale, le laissant désemparé face à une proposition conçue à l’envers.