Une petite page sur le petit page
Critique
Somerville
Développeur
Jumpship
Éditeur
Jumpship
Date de Sortie
14 novembre 2022
Prix de lancement
25 €
Testé sur
PC
En 2016, la scène du jeu indépendant est secouée par un petit tsunami. Dino Patti, cofondateur de Playdead en compagnie d’Arnt Jensen, quitte le navire en réponse à une obscure chamaillerie l’opposant à son associé. Pourtant, le studio danois était au sommet de son art. Limbo, Inside, deux noms qui ont réussi à se frayer un chemin auprès des plus grandes œuvres vidéoludiques, grâce à une atmosphère si particulière, oscillant entre trip intrapsychique et conte horrifique. Alors Dino, mis au ban de sa propre boite, cherche à réitérer l’exploit, ailleurs. Il ne lui faudra que peu de temps pour faire la connaissance de Chris Olsen — un animateur 3D fameux pour avoir travaillé sur de grosses réalisations hollywoodiennes —, qui planche depuis 2014 sur la création d’un jeu vidéo narratif. La convergence des visions artistiques s’opère, puisqu’ensemble ils fondent Jumpship, avant d’annoncer leur premier projet : Somerville. Depuis quelques années, les brèves concernant ce nouveau titre fleurissent au sein de la presse spécialisée. Un engouement qui s’explique par l’aura entourant le nom de Dino Patti, alors même qu’il n’est crédité qu’en tant que producteur de Somerville. Mais trop tard, le public s’abandonne déjà à une douce rêverie : celle d’avoir avant l’heure une suite spirituelle aux deux pépites de Playdead. À tort, hélas.
GUERRE DES MONDES
Dans la pénombre d’une bicoque perdue au milieu de paysages bucoliques, une famille — deux parents et leur bambin, ainsi qu’un chien allongé à leurs pieds — s’est assoupie devant une émission télévisée inintéressante. Néanmoins, subrepticement, les sons émanant de la lucarne changent de tonalité. Les voix se font alarmantes, les sirènes des voitures de police se mettent à hurler, les premières rumeurs de combats urbains se font entendre, avant que le programme ne se coupe, brutalement. C’est à ce moment que l’enfant s’éveille et décide d’explorer la maison. D’étranges lueurs violacées, provenant du dehors, percent l’obscurité et attisent la curiosité du gamin. Dans ses pérégrinations, celui-ci se coince par maladresse dans la poubelle de la cuisine. Ses pleurs finissent par réveiller le foyer. Maman se précipite au secours du fiston, tandis que papa fait le tour de la demeure… jusqu’à l’explosion tonitruante qui chamboule le monde. La guerre éclate, angoissante, cauchemardesque, sans préambule ni explication. Des monolithes d’apparence extra-terrestre — qui évoquent la Guerre des Mondes de H. G. Wells — s’écrasent dans le jardin, alors que des vaisseaux futuristes engagent des escarmouches acharnées dans les airs. Un instant, le père scrute le ciel avec sidération, avant que la seule attitude logique ne s’impose à lui : la fuite.
Un commencement exaltant... avant les problèmes
Sans un mot, Somerville pose une ambiance qui prend immédiatement aux tripes. Chaque son agit comme une effraction qui incite au sursaut, chaque lumière inquiète car on ignore quelle en est la source. Nous placer dans la peau d’un homme qui méconnaît les tenants et aboutissants du conflit qui l’entoure, permet d’accentuer l’angoisse ressentie par le joueur. Tel un civil se retrouvant sous les bombes du jour au lendemain, on progresse — on plutôt on détale — en se méfiant des présences camouflées dans l’ombre, des bruits à l’origine incertaine. D’autant que le travail accompli sur la percussion de l’environnement sonore, mais aussi sur la bande originale, s’avère être une franche réussite. Bien que discrètes, les compositions pianotées par Dominique Charpentier appuient sur la solitude de notre protagoniste, et nous arrachent même quelques serrements de gorge lorsqu’elles accompagnent la découverte de certains panoramas désolés, abandonnés de toute vie humaine. La première heure se montre intrigante, époustouflante… tant qu’on accepte quelques soucis techniques.
À la différence d’Inside ou Limbo, on se déplace ici, la majorité du temps, de droite à gauche, et on peut user à certains moments de la profondeur de champ pour explorer les environs. Après quelques minutes de jeu, notre avatar, le père de famille, se retrouve séparé de ses proches et muni d’un drôle de pouvoir. Celui d’être capable de liquéfier ou solidifier une matière extra-terrestre, qui entrave à de nombreuses reprises notre progression. L’occasion de résoudre quelques énigmes basées sur la physique, qui servent avant tout à tromper l’ennui plus qu’à nous mettre en difficulté. Tout du moins, cela aurait été le cas si les créateurs de Somerville avaient su peaufiner leur œuvre. La faute en premier lieu à un manque de précision de certains contrôles. Par exemple, il n’est pas rare de passer à côté d’un élément indispensable à la poursuite de l’aventure, car on n’a pas interagi avec lui au pixel près. Alors on commence à grogner, on tourne en rond, on s’acharne à essayer d’entrer en interaction avec les objets les plus incongrus du décor, avant de se rendre compte que la solution était bien, depuis le début, la plus évidente.
SOMERGRILLE
L’autre écueil vient de la lourdeur de notre héros. Celui-ci est lent, très lent. Si l’on comprend le message que souhaitait faire passer le studio en nous donnant les commandes d’un simple quidam, maladroit, voire un peu balourd, cela génère de la frustration sur deux types de séquences : les phases d’infiltration et celles de courses-poursuites. À plusieurs reprises, Somerville nous met dans les pattes de belliqueux aliens, qui cherchent à nous ôter la vie. Dans ces moments, la rigidité du protagoniste devient problématique : changer de direction en pleine cavalcade se montre compliqué, lorsqu’il ne se décide pas à ralentir de manière inexpliquée. D’autant que le titre anglais n’est pas épargné par les bogues. Trop souvent, des murs invisibles se dressent sur notre chemin, quand ce ne sont pas des soucis de collision qui empêchent notre fuite. Ajoutons à cela une lisibilité insuffisante quant à la route à prendre pour s’enfuir, alors on prend conscience que Somerville souffre d’un gros manque de finition.
C’est d’autant plus regrettable que ces saynètes permettent d’admirer le fantastique boulot de mise en scène de Chris Olsen — aucun doute, le bonhomme a fait ses premières armes au cinéma —, avec une caméra efficace, qui dynamise sans cesse l’action et déploie une narration environnementale immersive. Sauf qu’encore une fois, Somerville fait preuve d’irrégularité. Si les passages dans un habitat urbain post-apocalyptique se montrent bien réalisés — mention spéciale au travail fabuleux sur les contrastes lumineux, entre une atmosphère monochrome et l’irruption de couleurs vives et menaçantes —, ceux qui nous envoient crapahuter dans des souterrains s’avèrent fades, avec peu d’intérêt artistique, en plus d’être répétitifs. Il en va de même pour le dernier tiers de l’aventure, qui oublie les enjeux initiaux — pour rappel, une invasion extra-terrestre — pour mieux s’abandonner à une atmosphère cryptique un peu facile, et surtout qui tranche trop avec le début du jeu. On perçoit sans mal dans cette ultime séquence l’influence de Playdead, la grande finesse symbolique en moins.
Somerville souffre… Il souffre de cette comparaison à ses deux aînés symboliques, que sont Limbo et Inside. Un parallèle peut-être injuste, mais inévitable tant Jumpship a mis en avant le nom de Dino Patti, ancien cadre de Playdead, pour promouvoir son premier-né. Néanmoins, même si l’on omet l’existence des deux chefs-d’œuvre du studio danois, Somerville dispose de bien de failles qui lui sont propres et qui viennent gâcher l’expérience. On pense à ce protagoniste peu à l’aise dans ses mouvements, aux nombreux bogues de collisions, ainsi qu’à quelques portions de son aventure peu inspirées, tant d’un point de vue narratif qu’artistique. La peine est grande au regard de la première heure de jeu, qui nous immerge en un claquement de doigts dans son univers futuriste bizarroïde, grâce à un sound design impeccable et quelques vraies baffes visuelles. Finalement, ce n’est que par à-coups que le potentiel de Chris Olsen ne se déploie, insuffisant pour faire de sa création un incontournable, mais assez pour que l’on suive attentivement l’actualité prochaine de son studio.
Joli mais aspect stratégique trop léger