Critique

Indika

Nyam Hazz
Publié le 25 mai 2024

Développeur

Odd Meter

Éditeur

11 bit Studios

Date de Sortie

2 mai 2024 (PC)
17 mai 2024 (PS5, Xbox Series)

Prix de lancement

24,99 €

Testé sur

PC

Indika est un titre à part, et c’est bien en cela qu’il a su attirer notre attention. Avec sa direction artistique singulière et sa thématique axée autour de la religion, il se démarque clairement sur la scène des jeux vidéo. Et il n’y a bien qu’un titre indépendant qui puisse se permettre cela. Il faut dire que le sujet n’attire pas forcément les foules et qu’il reste, quoi qu’on en dise, toujours sensible, même au XXIème siècle. Mais Odd Meter, un petit studio russe normalement basé à Moscou, mais exilé pour raisons politiques au Kazakhstan, a pris le risque de déranger et de sortir des chemins balisés de la création vidéoludique. Les polonais de 11 bit Studio y ont cru aussi, et grand bien leur en a pris. En effet, l’aventure narrative décalée qui nous offerte ici vaut le détour. Ce n’est quand même pas tous les jours que l’on incarne une bonne sœur dans un jeu vidéo.

Crise de foi

L’aventure se déroule dans la froideur de la Russie du XIXᵉ siècle et débute au sein d’un couvent recouvert de neige. Indika est une jeune nonne qui aspire à une vie vertueuse, mais qui a tendance à se perdre dans ses pensées et à déraper pendant l’office dont elle se fait régulièrement évincer. Il faut dire qu’entre la voix qui trotte dans sa tête et ses visions, ce n’est pas toujours facile de rester de marbre. Timide, le regard fuyant, elle atténue ses angoisses en se rongeant les ongles et en écrasant jusqu’au sang son chapelet au creux de sa main. Sa particularité, qui tend à la possession, en a fait un paria au sein du couvent. Elle a beau s’excuser en permanence, tout le monde la rejette et personne ne lui adresse la parole, sauf pour lui crier dessus. Elle a donc largement de quoi se poser la question d’où se trouve la fameuse charité chrétienne et l’amour de son prochain, ce qui attise inexorablement ses doutes.

Et les doutes, ce n’est pas ce qui lui manque. Elle se pose beaucoup de questions, trop de questions diront certains. Elle est en permanence soumise à la tentation, mais elle essaie de rester pieuse, que ce soit dans ses paroles, ses prières ou encore les cierges qu’elle allume un peu partout avec la petite boîte d’allumette dont elle ne se sépare jamais. Après un an sans sortir de son couvent, elle doit quitter les murs austères de celui-ci pour livrer une lettre. Mais l’extérieur n’est pas bien plus gai que l’intérieur, et elle va ainsi vivre une aventure de type road movie qui va l’entraîner dans des situations parfois incongrues. Elle va notamment rencontrer un fugitif en cavale, dont un bras gangréné est en train de pourrir, avec lequel elle va ensuite tracer la route.

Indika nous offre ainsi quelque chose de très original, avec un humour noir omniprésent et une analyse critique plutôt fine des notions de bien et de mal. Sans jamais apporter de réponse (y en a-t-il vraiment ?), le titre s’applique à toujours voir les deux versants possibles d’une même situation. Tout étant relatif, qu’est-ce qui constitue finalement un péché ? Et quand bien même, est-ce réellement grave ? Encouragée par le Malin qui sommeille en elle, elle remet donc en cause pas mal de choses bien établies et entreprend ainsi un cheminement personnel vers Dieu ou vers le Diable. Certains verront sans doute dans cette recherche de l’absolution davantage une expérience interactive qu’un véritable jeu, mais encore une fois tout est relatif et les développeurs s’en amusent jusque dans la bande-annonce de lancement.

La petite nonne aux allumettes

Pour coller aux codes des jeux vidéos, on collecte ainsi des étoiles, y compris en récoltant des objets pieux disséminés ça et là dans le décor, objets qui jouent en quelque sorte le rôle de collectibles. Et les étoiles récoltées permettent de gagner en expérience et de franchir des niveaux, comme dans les RPG, mais cela n’a aucun intérêt ni aucune conséquence sur le gameplay, si ce n’est de pouvoir gagner encore plus d’étoiles. Les développeurs ne se privent d’ailleurs pas de nous dire que ça ne sert à rien. C’est d’ailleurs tellement sans importance que l’on commence au niveau 8. Chaque gain de niveau nous demande de choisir entre culpabilité, honte, repentir, regret, humilité, ou encore chagrin, tout un programme. Mais peut-être est-ce finalement un gain de niveau religieux, en direction de la béatitude. Autre élément pour bien montrer son appartenance au monde des jeux vidéos : le menu du jeu, les étoiles que l’on récolte, l’arbre de compétences de niveau, ou encore les artefacts que l’on récolte sont tous en pixel art, ce qui dénote avec les images bien plus réalistes du jeu.

Le pixel art est également mis à profit lors des flash-back de la vie pré-monacale d’Indika. On incarne alors celle-ci dans des tableaux en pixel art 2D, musique de consoles 8 bits à l’appui. Il s’agit alors tour à tour d’un jeu de plateforme, d’arcade ou de prendre part à une course de motos. Les personnages parlent dans des bulles et tout est très coloré, contrairement au reste du jeu. On a donc là, encore une fois, la démonstration que tout est relatif et que l’on peut voir les choses différemment. En effet, le soft est très sombre, presque entièrement en blanc et noir, en dehors de quelques nuances jaunes ou orangées. Or, c’est bien souvent l’inverse : la situation actuelle est en couleur et les flash-back en noir et blanc pour montrer que cela se déroule avant. Ceci dit, le fait que le jeu soit en pixel art peut aussi être la démonstration que c’est dans le passé. Tout est relatif, on vous le répète.

Même si cela n’est jamais poussé très loin, Indika fournit également d’autres éléments de gameplay en apportant systématiquement de la variété. Il y a par exemple de l’exploration, des phases de courses-poursuite, mais surtout des puzzles à résoudre, y compris en utilisant parfois des mécanismes ou des engins. Ils sont globalement de bonne facture, mais notre coup de cœur va à celui où Indika perd le contrôle et bascule dans un univers parallèle baigné de rouge qui modifie son environnement. Là, le Grand Fourchu se lâche et devient particulièrement acerbe. Elle doit alors prier pour revenir dans le monde réel, et alterner ainsi entre les deux pour se créer des passages et trouver la sortie afin de reprendre ses esprits. Les mini-jeux comme les énigmes varient à chaque fois, seul ce concept est utilisé à deux reprises, mais on n’aurait pas craché sur davantage.

Des points pour élever son âme

Le rythme du jeu est soutenu et il n’y a pas de scènes à rallonge ou qui se répète. On va à l’essentiel et on se concentre dessus. Il s’ensuit qu’il est assez court (4 à 5 heures), mais ce n’est pas à la durée que l’on juge une œuvre. On regrettera simplement une fin un peu trop abrupte qui nous laisse sur notre faim. On a bien compris qu’il n’y avait pas de réponse catégorique aux choses, mais on aurait bien aimé en savoir un peu plus. De même, le début de l’aventure est davantage jouissif, avec des situations bien barrées que l’on aurait aimé plus nombreuses. Le soft parvient en tout cas à nous faire vivre la vie d’une religieuse avec tous ses ressentis et, en cela, c’est une belle prestation, tout comme celle d’Anastassia Dyachuk qui incarne Indika. Les expressions convaincantes de notre religieuse sont touchantes et la rendent attachante dans sa fragilité.

Le titre est bien animé (sauf les chutes) et graphiquement réussi. Le personnage d’Indika est, certes, plus soigné que les autres protagonistes tous plus déjantés les uns que les autres, mais l’environnement est toujours de grande qualité, souvent très réaliste, avec un travail efficace sur la lumière et les reflets. L’austérité est omniprésente et l’ambiance est là, y compris à travers les bruitages et la musique stridente ou électronique, parfois psychédélique. Les nombreuses cinématiques sont, elles aussi, travaillées, avec des plans pouvant être étonnants, mais efficaces. Il est d’ailleurs également possible de s’asseoir pour profiter des différents plans mettant en valeurs certaines scènes où l’on se trouve. Le doublage est, lui aussi, de qualité, du moins en russe, langue pour laquelle j’ai eu une préférence plutôt que l’anglais, seule autre langue proposée. Mais, ne parlant pas russe, la vitesse de défilement des sous-titres m’a malheureusement parfois fait rater certains passages.

Techniquement, le jeu est au point, si ce n’est quelques détails. Jouable en vue à la troisième personne, il propose par exemple de basculer le clavier en ZQSD. Mais à chaque fois qu’on relance une partie, il faut repasser par le menu pour le désactiver et le réactiver afin qu’il soit pris en compte. On peut aussi citer des coupures parfois brutales entre les scènes, avec des écrans noirs pouvant traîner en longueur et casser ainsi un peu l’immersion, dommage. Notons qu’on ne peut que marcher ou courir, occasionnellement conduire, et interagir avec les éléments clairement indiqués, mais rien d’autre, même pas sauter. Linéaire par nature, en dehors de quelques écarts pour trouver des reliques inutiles, le titre pâtit également du syndrome du mur invisible. Généralement, un objet barrant le passage ou une porte fermée suffit à justifier cela, mais à d’autres non, comme ne pas pouvoir tomber dans le vide ou dans l’eau. Ce qui est surtout dérangeant ici, c’est que de temps en temps, on peut tomber, mais que lorsque cela est prévu. Difficile à justifier.

Titre singulier qui s’amuse à casser les codes, Indika relève haut la main le pari de nous immerger dans la vie et les pensées d’une religieuse. L’expérience très linéaire proposée est assez courte et se termine un peu trop brutalement, mais elle vaut le détour. Avec sa direction artistique soignée, ses graphismes de qualité, son univers sombre et austère, ses situations décalées et parfois bien barrées, son humour noir, son gameplay varié et parfois surprenant, il amène chacun de nous à se questionner sur des sujets théologiques, mais aussi plus généralement sur la relativité du bien et du mal. Une œuvre originale de qualité.

The Foglands
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