« Les préjugés sur la création indépendante » par Tavrox

Cet article est, à l’origine, publié sur mon blog.

J’ai eu l’occasion de présenter mon parcours de créateur de jeu vidéo indépendant à l’université Paul Sabatier de Toulouse, dans le cadre de l’Agora d’une association étudiante. Je rends mon powerpoint public, faites-en ce que vous voulez. Sachez tout de même que je suis intéressé pour donner cette conférence ailleurs, donc si vous avez ou connaissez quelqu’un que mon intervention peut intéresser, faites-moi signe !

 

L’idée principale de cette conférence était de corriger plusieurs clichés et préjugés déjà établis sur la création de jeux vidéo. Cette correction reflète mon apprentissage après 1 an et demi d’indépendance en tant que créateur, et ne reflète pas l’expérience de tout le monde. Néanmoins, je lis beaucoup de témoignages et fais environ 2h de veille informationnelle par jour. Je reviens très rapidement sur chaque point parce que beaucoup de ce que j’ai dis se passait à l’oral, vu que c’était une présentation. Mais, à la fin de la création de ce powerpoint, je me disais que j’aurais bien aimé le lire 1 an et demi plus tôt, donc le voilà.

Les clichés et préjugés…

  1. Tout le monde peut faire des jeux et en vivre.
  2. Être indépendant, c’est avoir une liberté totale de création.
  3. Il suffit de faire un bon jeu, et les gens en parleront.
  4. Je peux faire mon jeu tout seul, j’ai besoin de personne.
  5. Il suffit de faire UN bon jeu pour être connu.
  6. Je sais coder en tel langage, je peux devenir créateur indépendant.
  7. Je montre pas mon jeu avant qu’il soit fini, c’est à dire dans 10 ans.
  8. Pas besoin d’argent pour faire un jeu indépendant.
  9. Fais des jeux mobiles et deviens millionnaire en deux jours.

La correction :

  1. Tout le monde peut faire des jeux, mais très peu en vivent.
  2. Être indépendant, c’est avoir une grande liberté de création
  3. Il suffit de faire un jeu excellent, de se forger une réputation, de rencontrer du monde, et d’en parler à tout ceux que vous rencontrez. Facile, non ?
  4. Je peux faire mon jeu tout seul, j’ai besoin de personne. Mais ça va me prendre plusieurs années, et je serais fatigué, démoralisé, blasé à la fin.
  5. Il faut faire plusieurs bons jeux pour être connu et des dizaines de jeux moins bons avant.
  6. Je sais coder en tel langage, je peux commencer à développer des jeux vidéo.
  7. Je montre mon jeu dès que je peux, souvent, en faisant tester mes amis, en organisant des sessions playtests.
  8. Pas besoin d’argent pour faire un jeu indépendant. Mais, besoin d’argent pour le diffuser et travailler sereinement dessus.
  9. Faire des jeux mobiles et devenir millionnaire en deux jours revient à jouer au loto.

Dollars funnel.#1 : Tout le monde peut faire des jeux, mais très peu en vivent.

Je cite : « Non-salaried solo independent game developers made an average of $11,812 (down 49 percent year-on-year) last year, while individual members of an indie team made an average of $50,833(up 161 percent). (These averages do not take into account indies who made less than $10,000, or over $200,000. » Le « who made less than 10k$ » veut dire qu’en gros, même ceux qui ont gagné pas mal (ça doit être environ 1% des développeurs indés) n’ont pas gagné tant que ça. 11k / 12 = 900€, si vous comptez le matos, les taxes etc, ça vous rapporte pas beaucoup. Pour les groupes indés, l’équation a l’air mieux équilibré, encore faut-il arriver à gagner 10k$ avec ses jeux :).

Source : Gamasutra

#2 : Être indépendant, c’est avoir une grande liberté de création

« Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités »… Encore aujourd’hui, si vous faites un jeu mal marketé, ça va être dur de le vendre. Par exemple, on a vu des cas de bannissement de jeux à caractère sexuels. Pareil pour Hatred qui s’est fait basher, même si il a été relayé. La société n’est pas encore prête pour certaines discussions…. ca dépend beaucoup de vous. N’oubliez pas aussi qu’on fait des jeux pour les joueurs, c’est à dire que l’expérience doit leur plaire aussi à eux, pas qu’à vous.

#3 : Il suffit de faire un jeu excellent, de se forger une réputation, de rencontrer du monde, et d’en parler à tout ceux que vous rencontrez. Facile, non ?

La plupart des gens pensent que c’est facile de faire un jeu, surtout quand ils n’ont jamais fait. Faire un jeu, c’est dur. Finir un jeu, encore plus dur. Si vous pensez que votre premier projet, un MMORPG en 3D, se vendra des millions en claquant des doigts, vous vous fichez le doigt dans l’oeil. Il ne suffit pas de faire un bon jeu pour réussir, il faut aussi en parler de manière extensive, se forger une réputation par vos jeux ou par d’autres moyens (prouesses techniques, review d’autres jeux, polémiques style Quinn, participer à toutes les conférences style Ismail, etc. A vous de voir comment vous marketez votre réputation).

#4 : Je peux faire mon jeu tout seul, j’ai besoin de personne. Mais ça va me prendre plusieurs années, et je serais fatigué, démoralisé, blasé à la fin. 

Même moi, je me dis qu’il faudrait que je fasse le prochain jeu tout seul, dans mon coin. Alors que je connais la galère de travailler sur des projets persos. Ca dépend de votre personnalité, mais n’oubliez pas que, aussi lourd que le travail en équipe puisse être, il peut aussi être très positif. Prendre du temps pour papoter, nouer de bonnes relations pros, c’est pas du temps perdu. Créez en équipe, sinon, vous allez le sentir passer moralement votre jeu. Gardez des supports moraux ou sortez souvent avec des potes pour ne pas vous exclure socialement.

#5 : Il faut faire plusieurs bons jeux pour être connu et des dizaines de jeux moins bons avant.

Pour mon jeu Lavapools, je pense que la qualité globale est de 6 sur 10. Des trucs bien, mais ne pas plait pas à un super grand nombre, gameplay assez classique au final, bon level design, etc. Des gens sont intéressés et diffusent le jeu parce qu’ils l’apprécient, mais ça ne veut pas dire qu’ils vont acheter tout mes futurs jeux direct sans réfléchir. Ils vont juste se dire « Hey, j’ai bien aimé son premier jeu, je vais regarder le prochain ». Il est important de capitaliser sur votre réputation et votre expérience en tant qu’indépendant. C’est notamment ce qui aide la presse à se dire « Dois-je le mettre en avant ou non », et pour vos joueurs, ça veut dire qu’ils connaissent le risque à essayer votre jeu. Le temps de chacun est précieux.

programmer#6 : Je sais coder en tel langage, je peux commencer à développer des jeux vidéo. 

Entre développer et agir en tant que créateur indépendant, il y a une différence. Le marketing et la communication sont des outils très difficiles à maîtriser et apprendre, et pourtant indispensables. La création de jeux englobe : la programmation, le graphisme, la communication, le sound design, le marketing, le game design, le level design, l’assurance qualité. Vous avez tout ça dans votre équipe ? Si la réponse est non, agrandissez votre équipe ou diversifiez les tâches. Pas de communicant = 0 ventes.

#7 : Je montre mon jeu dès que je peux, souvent, en faisant tester mes amis, en organisant des sessions playtests.

Ce grand classique arrive tard et fais encore l’objet de débat. Me concernant, pour tous mes futurs jeux, je les montrerais très tôt, même à l’état de prototype. Si vous pensez qu’on va vous voler votre idée, que les gens vont pomper votre création, vous êtes un gros noob du jeu vidéo indé. Votre premier prototype sur Twitter fera au mieux 0 retweet, et personne n’aura rien vu. Si vous suivez pour exemple le développement de Volume, le prochain jeu de Thomas Was Alone, il en parle depuis environ 6 ou 9 mois alors que le jeu n’est pas encore sorti. Les créateurs novices ne me croient pas quand je leur dis, et ils l’apprendront tout seul. Il est important de faire tester son jeu à beaucoup, beaucoup de monde.

#8 : Pas besoin d’argent pour faire un jeu indépendant. Mais, besoin d’argent pour le diffuser et travailler sereinement dessus.

J’ai toujours pas d’argent à ce jour et je peux continuer à faire des jeux. Mais pas sereinement. Je peux pas non plus participer à plein de conventions qui vont booster mon jeu. Mes parents m’ont aidé jusque là et financer mon activité indé, mais je voudrais aussi acquérir mon indépendance financière. Dans tout les cas, l’argent ne tombe pas du ciel et vous en aurez besoin à un moment ou à un autre. Peut-être pas d’énormément, mais rien n’est pire que l’anxiété financière. Elle vous ravage tous les jours et vient vous poursuivre dans votre sommeil… Aurélien Regard dit d’ailleurs que pour finir son jeu à temps, ça va être chaud à cause du manque d’argent qui se profile pour lui.

#9 : Faire des jeux mobiles et devenir millionnaire en deux jours revient à jouer au loto.

Une connaissance de l’IUT m’a dit un jour, en commentant le fait que je créer des jeux vidéo, que je « devrais me mettre au mobile, tu peux devenir millionnaire », ou quelque chose du genre. J’en rigole encore, tous les jours. Il est vrai que le marché mobile est plus favorable au gain de revenus, mais il est aussi vrai que de plus en plus de monde sur mobile. Pour 1 jeu mobile sorti, il y en a 100 de plus sur PC. Mais il faut savoir autre chose, c’est que les géants du mobile, dans 99% des cas, sont des grosses entreprises avec un budget publicité assez gigantesque. Faire des jeux mobiles est aussi risqué que du jeu PC aujourd’hui, peut-être un tout petit peu moins mais c’est quand même aussi pas mal le bordel de développer pour mobiles.

Mon twitter : @Tavrox_

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