Dishonored 2

Il y a quelque chose de pourri au royaume de Gristol. Il est alors peut-être temps de prendre des vacances bien méritées. Au soleil, par exemple. Au milieu d’une invasion de moustiques, vous trouverez bien de quoi faire entre les multiples activités que vous proposera votre coach pour l’été, avec au programme assassinat, infiltration, ésotérisme et sorcellerie. Franchement, je ne vois pas quoi demander de plus que de se la couler douce par temps de canicule, un verre de vin à la main. Faites donc le plein de vitamines D.


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Karnaca, mon amour

Cinq années nous séparent de la sortie du premier Dishonored, alors que dans l’univers de ce dernier, c’est trois fois plus de temps qui s’est écoulé. Les esprits conspirateurs ne s’y sont assagis qu’en surface, tandis que pour l’anniversaire de la mort de l’impératrice Jessamine Kaldwin, un coup d’état se met en place contre l’actuelle. Une auto-proclamée demi-sœur de la défunte impérialiste, Delilah Copperspoon, est venue avec force et fracas réclamer un trône qu’elle dit être le sien. A nous alors de choisir qui incarner entre le vétéran Corvo Attano et sa fille Emily Kaldwin, petite nouvelle dans l’équipe qui ne s’en laissera pas compter pour autant.

Dès les premiers instants, nous plongeons à nouveau dans les méandres des nombreux imbroglios politiques qui font Dishonored. L’empire est en danger tout autant qu’un des deux derniers membres de la famille impériale, avant qu’un voyage forcé en terres de Serkonos n’y emmène Emily ou Corvo, selon notre notre décision de départ. Après un court passage par les rues familières de Dunwall, c’est sous le sunlight des tropiques de Karnaca que l’on se retrouve à fomenter le début de notre vengeance contre la sorcière usurpatrice d’empire, avec l’aide d’une certaine Meagan, femme ne manquant pas de caractère si ce n’est son bras droit. A bord de son navire le Dreadful Whale, nous voguerons le vague à l’âme en quête de réponses sur cette nouvelle menace et ceux qui la supportent depuis cette île du sud.

Dans le premier Dishonored, Dunwall était une ville aux traits d’une Angleterre victorienne embrassant de plein fouet les débuts de sa révolution industrielle. Karnaca est quant à elle bien différente. Ses bâtiments se dessinent sous des traits d’influence haussmannienne, avec quelques pointes de styles plus exotiques par endroit. La manière dont les rues s’y construisent, les publicités peintes à même les façades de certains immeubles et l’ambiance qui s’en dégage, donnent parfois l’impression d’évoluer au sein d’une cité typique de la France du 19ème siècle. Le changement de scène est par conséquent radical.

Le soleil remplace le grisâtre du ciel de Gristol. Serkonos se fait plus tropical que tempérée et nous montre des atours très différents, mais toujours séduisants. La technique pure n’y est pourtant pas au mieux de ce que l’on pouvait en espérer. Sur pc, le jeu tire la langue en raison de performances en dents de scie. L’optimisation manque à l’appel, malgré la présence d’un grand nombres d’options, dont on remarquera assez peu de différences entre le réglage ultra et bas. Ces déficiences n’auront pas entaché plus que de raison mon intérêt pour le jeu, mais il est bon de le savoir. Au moment même où j’entamais ma seconde excursion, cette fois-ci avec ce bon vieux Corvo, un patch beta en version 1.2 était disponible.

Ce dernier améliore énormément de choses au niveau des performances générales. Le résultat n’est pas parfait mais devient infiniment plus agréable à jouer, même si une espèce de flou lointain persiste, en partie causé par la résolution adaptative. L’effort fourni est donc appréciable et complètement normal qui plus est. Dishonored 2 tourne sur le Void engine, qui dérive lui-même de l’ID Tech 5, et non de sa dernière version comme ce fut le cas pour le Doom qui lui tourne comme un charme. Heureusement, malgré ses impairs techniques, l’aspect esthétique est bel est bien réussi pour sa part. Sa direction artistique fait un pas en avant indéniable en gardant son amour des intérieurs et extérieurs soignés. Mais en s’inscrivant cette fois-ci dans une approche plus terre à terre.



La cité comme un cœur qui bat

Même si ses graphismes apparaissent plus réalistes, Dishonored 2 conserve l’aspect pictural qui dominait tant dans le premier. Les textures ont une qualité variable, mais dans leur ensemble, on a par moment l’impression de voir de véritables tableaux de maîtres. Le résultat y est cependant plus subtil, avec l’aide notamment d’un système d’éclairage plus complexe et sa colorimétrie riche donnant aux décors plus de relief. On s’éloigne ainsi du style romantique d’avant pour quelque chose de plus expressionniste. On pourrait presque y déceler une influence de Gustave Caillebotte. Les architectures associées à une décoration d’intérieur de bon goût décrivent des habitations à la fois empreintes d’histoire et de modernité. Les amoureux de la pierre y trouveront de quoi régaler leur yeux, tandis qu’ils y découvriront un entre-deux mondes. Celui ancien inscrit dans le dur et un autre se révélant au travers d’un progrès technologique du quotidien.

Peut-être moins sophistiqués et impressionnants que leurs compères de pierres, les habitants de Serkonos affichent toujours ces mines au style ciselé, comme s’ils avaient été taillés avec un couteau. Leur visage est marqué par des rides de caractère, les pommettes creusées pour certains. Cela ne les empêchent pas de donner vie à Karnaca en la peuplant de leur individualité. Les niveaux sont plus grands et plus ouverts qu’auparavant. Ils s’imbriquent dans une logique de quartier en évitant de trop nous faire sentir leurs murs invisibles qui en définissent pourtant les limites. Il y a aussi beaucoup de verticalité s’entremêlant dans tout autant d’horizontalité. Les chemins qui s’y présentent ne paraissent pas autant forcés et linéaires que dans le premier Dishonored, où la construction des niveaux était moins naturelle. On a ici beaucoup plus l’impression d’évoluer dans une vraie ville autant que son level design nous permettra de le croire.

C’est par ses détails qu’il se détache le plus de son prédécesseur. Des détails paraissant souvent insignifiants d’ailleurs, qui une fois remarqués viennent donner à cet univers fictif une crédibilité surprenante. Que cela soit dans ses publicités, ses objets du quotidien, les réflexions et les discussions de ses habitants plus nombreux que pendant nos balades à Dunwall, par petites touches, son univers prend forme. Dunwall aussi magnifique fusse-t-elle, paraît en comparaison presque creuse. Le soin apporté à Serkonos est définitivement supérieur. Cela donne à Karnaca un réalisme plausible, loin du côté parfois fantasque et carton pâte de sa grande sœur plus au nord. Et ce n’est pas tellement la quantité astronomique de textes et de fichiers audio qui y parviennent, mais plutôt dans la façon dont cette cité vibre au rythme des individus et des murs qui la définissent.

De sa verticalité, il ne faudra pour autant pas la prendre pour un acquis faisant de vous un dieu de la mort venu d’en haut, comme  Corvo à ses débuts. L’intelligence de vos adversaires y fait ici un bon qui à défaut d’être spectaculaire, surprendra à plus d’un tour. Même avec la difficulté réglé seulement sur élevée (hard), vos ennemis seront plus perspicaces. Dishonored premier du nom avait mis de côté l’infiltration de papa avec son jeu d’ombre pour se baser sur l’utilisation exclusive du son et du champ de vision. Ce mécanisme de jeu reprend à nouveau du service, mais cette fois-ci à un degré encore plus poussé. La vue des soldats et autres est étonnamment perçante. Même de très loin, si vous croisiez leur regard de travers, ils commençaient à s’alerter de votre présence. Leur vision est d’ailleurs plus périphérique que jamais.

Leur placement et leurs déplacements dans chaque zone sont aussi moins téléphonés, qui ajoutés à leur sens aiguisés donnent un peu plus de piment à nos pérégrinations. La verticalité ne vous rendra par conséquent pas surhumain. Elle offre un avantage réduit et vous y serez éventuellement repéré au bout d’un moment. Dishonored 2 nous pousse donc à plus de précaution et de mobilité. De précaution, car une porte laissée ouverte alors qu’elle ne le devrait pas l’être, attirera l’attention. Malheureusement, la perfection n’étant pas de ce monde, il y a parfois des réactions absurdes de cette intelligence artificielle que l’on mettra sur le compte de bugs à corriger.


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Sorcellerie meurtrière

Des compétences actives et passives à débloquer auront cependant tôt fait de rendre ce jeu beaucoup plus simple à terminer qu’il n’en a l’air. Pour les plus endurcis, il s’agira sans doute d’un défaut. Il faut s’avouer que Dishonored envisage la difficulté différemment. Là où la plupart des jeux l’aborderaient comme un restaurant proposant plusieurs menus différents mais impossible à modifier, lui, il l’aborde sous l’angle d’un buffet à volonté où le choix de la complexité de notre assiette serait laissée à nos désidératas. Outre le choix entre Emily et Corvo, apportant leurs propres ensembles de pouvoirs, ces derniers disposent de capacités passives telle que celle faisant disparaître les corps de nos ennemis à l’instant même où nous les trucidons. Que cela soit au corps à corps ou à distance. Une compétence qu’il est d’ailleurs possible d’améliorer.

L’Outsider – déjà présent dans Dishonored et nous offrant sa marque débloquant nos pouvoirs – vous demandera de prendre une décision de taille. Celle de savoir si vous comptez poursuivre cette aventure avec ou sans les bénéfices du Void, cet espace hors du temps vous conférant vos dons surnaturels. Ayant une préférence pour l’amusement, je les ai conservés. Mais il faut savoir que les niveaux ont été construits de telle manière à pouvoir se rendre absolument de partout sans nécessairement avoir le besoin de se téléporter à tout va à l’aide du Blink de Corvo, ou Far Reach pour Emily.

Il est par conséquent possible de terminer le jeu sans y avoir recours. Les armes de bases étant suffisantes et le level design nous le permettant. Il faut justement savoir que cette décision de s’en passer impliquera de surmonter un défi un peu plus ardu ou moins assisté. Avec ou sans pouvoirs, avec Emily ou Corvo, en tant meurtrier ou pacifique, en étant flamboyant ou discret ; il y a véritablement la possibilité de finir le jeu de plein de façons différentes, selon nos envies. Les capacités de Corvo vous sont normalement connues si la série ne vous est pas étrangère. Elles lui permettent une approche plus directe. Ses pouvoirs le font aller au cœur de l’action. Alors que ceux d’Emily sont beaucoup plus portés sur la manipulation des individus.

C’est un personnage de la déception, avec son Domino, permettant de lier plusieurs personnes, ce que l’une d’entre elle subira sera reporté sur les autres connectées. Emily peut également créer un double pour faire diversion, ou devenir une ombre rampante faisant penser à The Darkness. Mais c’est surtout du côté de la narration que ça va se jouer d’avoir préféré l’un ou l’autre. Emily et Corvo apportent chacun leur propre perspective sur le problème auquel ils font face. Comme dans le premier Dishonored, il est toujours possible de choisir de faire profil bas en ne tuant personne, une issue non létale nous étant toujours offerte en toute circonstance. De verser le sang ou pas, il en découlera un chaos plus ou moins élevé. S’il y en a trop, attendez-vous à une fin cynique. Le contraire offrira un avenir plus positif pour Serkonos et l’empire.



Un scénario au service de votre lame

Ainsi cette histoire va s’écrire au gré de nos coups d’épées, ou au contraire de notre pardon. On en revient finalement à cette question de perspective. Emprunter une voie plutôt qu’une autre va façonner le scénario à l’image de notre progression meurtrière ou pacifique. Il est toujours intéressant de voir que nos actes peuvent avoir des répercussions. Dans le spectre limitatif de ses scripts, Dishonored 2 nous offre une réelle liberté d’aborder chaque problème de la façon qui nous conviendra le mieux. Tandis que plusieurs lignes narratives prendront place à la mesure de nos pas. Il y a celle d’un monde presque réel, qui s’écrira au travers du vécu de ses bâtiments et de la vie de ses habitants. Et puis il y a celle de cette lignée impériale maudite par le sang.

On peut ne pas s’en soucier, mais il reste agréable de voir un jeu d’action tenter de décrire les conséquences de nos actes. Le cœur de Jessamine, nécessaire pour retrouver des runes et des charmes pour débloquer pouvoirs et compétences passives, est aussi un formidable outil pour connaître les secrets des gens. Qu’ils soient importants ou petits, ce cœur vous révélera leur véritable nature. Une action d’apparence superficielle mais qui parvient à donner un peu plus de contexte renforçant un peu plus la profondeur de ce monde. Ce soldat, est-il le monstre qu’il paraît ? Cette employée de maison d’apparence innocente, l’est-elle réellement ? Le cœur vous le dira.

Le scénario de Dishonored 2 n’est objectivement pas le plus novateur qui soit. Il est très direct. Il s’agit d’une vengeance bête et méchante. Je regretterai simplement que Delilah, dont on devine une personnalité complexe, soit malheureusement sous-exploitée. On comprend sa rancœur et ses motivations, mais en fin de compte, on passe assez peu de temps à ses côtés. A l’inverse, on multiplie les rencontres avec toute une galerie de gueules charismatiques mais dont au final on ne voit que la surface. Dishonored 2 n’étant pas un jeu de rôle, il ne peut se consacrer à mettre en lumière tout le monde trop longtemps. Le rythme en pâtirait. Mais c’est aussi de la faute à son univers et l’intérêt qu’il suscite que l’on ressent ce besoin de l’explorer plus en profondeur, ce qu’il ne parvient pas à nous apporter complètement.

On en apprend néanmoins un peu plus sur le Void et l’Outsider. Corvo étant natif de Serkonos, c’est sous la forme d’une introspection qu’on l’accompagne dans les rues de Karnaca qu’il a si bien connu durant sa jeunesse. Sokolov ruminera sur l’idée que ses inventions aient pu être utilisées à des fins militaires. Emily, bien qu’encore très jeune et inexpérimentée, va devoir composer avec ses émotions et son désir de sauver son père et son empire. Les motivations de chacun semblent claires. Et pourtant, il y a un sous-texte caché. Des relations inattendues entre les personnages vont se révéler, des destins s’entre-croiser.

Ce n’est pas un thriller. Plutôt une pièce de théâtre shakespearienne. Il n’y a donc pas vraiment de rebondissements. Juste un drame familial qui aurait été dans le fond assez classique sans bien évidemment le trône d’une impératrice en jeu et toute sa mythologie de créatures de légendes et la sorcellerie. Les murs eux-mêmes nous racontent quelque chose. Nos cibles s’abritent chacune dans des demeures faites à leur image. Que cela soit le génie de l’invention Jindosh et son manoir transformable du bout d’un levier, ou le palais moderniste du Duc Lucas Abele, fait à l’image de son propriétaire imbu et décadent. Chacun de ces lieux transpire une histoire qui lui est propre, tout en dégageant une atmosphère qui lui est unique. Dishonored 2 est vraiment à part. Il ne faudra pas le juger sur son final bien maigre. Il doit être pris entier, entre son gameplay librement modulable, concomitamment avec cet empire dont il nous conte les affres le plus simplement possible.


Dishonored 2 est un véritable régal pour les yeux si on omet de trop se plaindre de son optimisation décevante, notamment sur PC. Au-delà de ces considérations purement techniques, se dessine un jeu d’infiltration qui parvient à s’enrichir par rapport à son premier essai, non pas en ajoutant seulement de nouveaux pouvoirs, mais en repensant et améliorant son level design et son intelligence artificielle. Superficielles seront certaines ficelles scénaristiques, comme cette invasion de moustiques tueurs d’homme, pâle imitation de la pestilentielle marée de rats du premier. On a parfois l’impression de n’avoir gratté que la surface de quelque chose de bien plus imposant. Néanmoins, entre des niveaux plus variés, un casting de personnalités relevées et une narration plus organique se racontant au travers de son environnement, on obtient là un véritable bijou qu’il serait idiot de passer outre.

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