Shadow Tactics: Blades of the Shogun

C’est quelque part au milieu de mes nombreux rendez-vous de la Gamescom 2016, que j’avais enfin pu voir Shadow Tactics : Blades of the Shogun se mouvoir avec la célérité d’un ninja. Des mots du développeur présent, j’en avais retiré principalement les influences de Commandos ou encore Desperados. Nous devions y endosser le rôle d’une bande de marginaux aux compétences et personnalités diverses dans un Japon féodal de l’ère Edo, aux fins de déjouer une machination dans le même esprit que n’importe quel film de jidai-geki. Au programme, on nous promettait du sang et de l’action, sous les rythmes encordés d’un shamisen.


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Captain Edo

Notre entrée en jeu est théâtrale et démarre sur une mise en scène audacieuse et guerrière prenant place dans le château d’Osaka. La majestueuse bâtisse y voit s’opposer les forces du shogun à ses résidents, refusant encore de se soumettre à son autorité. Entre nos mains, Hayato, un ninja rompu aux arts des ombres assassines, se déplace furtivement pour mieux démanteler les forces ennemies de l’intérieur . Il sera assez vite rejoint par Mugen-san, un samouraï n’ayant point honte d’afficher au grand jour son amour de la bataille. Samouraï un jour, samouraï toujours pourrait-on dire de lui. Ensemble, ils vont s’allier pour permettre à leur seigneur, pour des raisons très différentes, de vaincre l’adversité. Cependant, un ultime rempart se dressera devant eux avant d’y parvenir. Ils trouveront en Takuma, un vieil homme facétieux et passé maître dans le maniement du fusil à lunette, une aide salvatrice.

Cette première mise en bouche donne le ton. Si l’infiltration reste maîtresse, les lieux que l’on traversera ne seront pas toujours forcément des plus calmes. Ainsi, nous allons parcourir un Japon coloré dans le but de découvrir l’identité de Kage-sama. Cet individu complote pour renverser un shogun devenu grand patron au pays du soleil levant. Chaque mission est alors l’occasion de faire progresser une intrigue comme une cerise sur un gâteau déjà fort goûteux, en nous aménageant ce qu’il faut de rebondissements et de petites séquences émotions. L’histoire est assez convenue pour le genre mais se réserve quelques jolis non-dits dans sa narration. Elle est dans son ensemble bien racontée à la faveur d’un rythme maîtrisé. C’est un plus évident pour donner du contexte et une motivation à nos escapades.

L’une de ses qualités se trouve d’ailleurs dans sa manière de traiter les cinq protagonistes qui composent son groupe d’espions. Au diable la cohérence ! Qu’ils soient éloignés de plusieurs dizaines de mètres ou non, ils se parleront entre eux régulièrement, s’échangeant des pensées très personnelles ou des réflexions sur leur mission. Ces morceaux de discussion ajoutent beaucoup de vie à un jeu déjà généreux dans son exécution. La narration est ici autant façonnée par son gameplay, que ce dernier qui lui rend la pareille en s’adaptant aux ficelles de son intrigue. Il n’est ainsi pas possible de choisir qui on emmènera à chaque mission. Le choix est fait pour nous et aussitôt justifié par les besoins du scénario. Tout cela fait cependant partie d’un jeu au design millimétré qui laisse assez peu de place à l’imprévu.



Héros inconnus

Ainsi au gré des besoins de l’histoire, notre groupe se verra composé sur la base des cinq membres d’une bande aux talents et personnalités hétéroclites. Nous connaissons déjà Hayato, un ninja expérimenté qui offre ses services aux plus offrants. Outre son sabre assoiffé d’hémoglobine, il peut attaquer à distance à l’aide d’un shuriken ou détourner le regard des ennemis en jetant une pierre. Quant à notre bon vieux samouraï, il n’est clairement pas le roi de l’évasion. Mais son épée, doublé d’une compétence d’attaque sur de multiples adversaires dans une zone restreinte, en font un redoutable guerrier. Il peut aussi jouer sur la finesse à l’aide d’une bouteille de saké qui attirera tous les alcooliques de passage. Enfin, l’excentrique Takuma nous reviendra handicapé, sans être pour autant inapte à la tâche, avec son fusil à lunette, quelques explosifs et son raton-laveur Kuma, qui l’aidera à faire diversion.

A cette équipe déjà fine va s’ajouter deux autres membres. Tout d’abord Yuki, qui va s’inviter d’elle-même à la troupe. La jeune fille est encore inexpérimentée et verra en Hayato un sensei (maître) pour la former, et en Mugen un cher ami. Ses monologues nous montre une personne en manque de confiance et quelque part fragile, malgré son côté impassible dans l’art de l’assassinat. Au corps à corps, elle joue du couteau. Ses deux autres capacités iront par contre de pair. Elle peut poser un piège mortel au sol, pour ensuite utiliser sa flûte afin d’y attirer l’ennemi. Mortelle gamine que voilà. Et pour finir, souhaitez la bienvenue à Aiko, une kunoichi (femme ninja), et ancienne connaissance de Mugen. Elle manie l’épingle à cheveu comme arme blanche, tandis que le reste de son arsenal est lié à l’illusion. De la poudre pour réduire le champ de vision des gardes, et un déguisement pour se fondre dans la masse.

Leurs différentes compétences seront à prendre en compte à chaque seconde, sachant qu’elles seront autant de pièces avec lesquelles composer dans ce qui s’apparente parfois à un immense puzzle. Shadow Tactics se compose de treize niveaux comme autant d’énigmes. Ils proposent chacun leurs lots de problématiques à résoudre dans un jeu qui ne pardonne pratiquement pas l’erreur. Si vous deviez être mis à découvert, les renforts arriveraient en quantité importante en rendant ensuite toute progression beaucoup trop aléatoire. Même si on ne meurt pas immédiatement après s’être fait repéré, user et abuser du chargement rapide de sauvegarde lui donnera un goût de die&retry. Une sensation venue tout droit de la vieille école, sur laquelle se repose Shadow Tactics sans jamais vraiment s’en cacher.


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Les héritiers des ombres

Après tout, il ne renie pas son héritage issu de merveilles comme Commandos. Il y a dans Shadow Tactics une difficulté similaire, une exigence de tous les instants. Il faut ainsi composer avec les capacités de nos héros pour faire face à l’adversaire. Un mode appelé Shadow (ombre) nous permettra d’élaborer de véritables tactiques qui correctement exécutées, donneront lieu à des séquences mémorables. En l’absence de pause possible, ce mode vous permettra de mettre en stand by une action par personnage, qui pourront ensuite être lancées en même temps en appuyant simplement sur la touche entrée. Cela nous permet de nous dégager de certaines situations délicates, où attaquer l’un après l’autre n’aurait pas fonctionné pour de multiples raisons. Que cela soit pour contrebalancer le timing délicat des mouvements des gardes, leur champ de vision impardonnable ou autre chose, ce mode sera parfois incontournable pour continuer à avancer.

On notera la présence de trois modes de difficulté. En vérité, même le plus bas d’entre eux se contente de réduire la réactivité des ennemis. Il ne change quasiment rien d’autre. Il y a toujours autant de gardes, et toujours le même level design réglé comme du papier à musique. Le véritable défi se trouve alors chez ce dernier. Le positionnement des dits gardes est toujours fait de manière à ce que leur champ de vision couvre chacun de leur collègue. Quand à ses environnements, ils ne nous offrent pas toujours de quoi se cacher ou des chemins nous facilitant la tâche. Il faut ainsi trouver le point faible dans cette structure pour commencer à travailler un début de solution. Shadow Tactics peut s’avérer ardu par endroit. Il ne s’est jamais avéré injuste. Au contraire, par l’apprentissage et l’observation, on finit toujours par obtenir un résultat.

C’est alors que l’on peut commencer à enrayer cette machine parfaitement huilée. Le principe de ce jeu est un peu celui de l’effet domino. En trouvant la pièce à renverser, de nouvelles possibilités pour faire valdinguer la suivante commence à s’ouvrir à nous. Pour autant, la tâche ne sera jamais aisée. Shadow Tactics est pointilleux, et restera exigeant à tout moment, en ne nous laissant aucun répit. Une situation tendue en appelle toujours à une autre. Et aucun de ses niveaux ne se ressemblent. Dans l’un, la neige sera marquée de vos pas, pouvant révéler votre présence. Dans un autre, votre mission se fera au milieu d’une bataille rangée entre les troupes du shogun et celles de Kage-sama. Ajoutez à cela la possibilité de gagner des badges en remplissant certains objectifs très particuliers, comme de terminer un niveau en moins de vingt minutes, et vous aurez de quoi vous occuper de longues heures durant.



Avec majesté

Cette variété va de pair avec d’agréables graphismes en phase avec l’idée que l’on se ferait d’un Japon féodal. Certains décors confinent même à l’excellence de par leur souci du détail. Tout au plus quelques temps de chargement un peu trop longs, et un peu moins sur ssd, viennent perturber une réussite esthétique appuyée par une bande sonore soignée accompagnée d’instruments de musique japonais traditionnels. Le doublage lui-même vient en deux saveurs. Une anglaise avec un accent japonisant presque caricatural, mais qui se débrouille relativement bien. Un second sentant plus le terroir, tout en japonais. Ce dernier est plus que soigné et bien plus immersif. Les contrôles pour leur part sont parfaitement adapté à l’utilisation d’une souris et d’un clavier, même si la manipulation libre de la caméra rend la maniabilité parfois poussive avec son lots de clics dans le vide.

Question durée de vie, il est suffisamment généreux pour vous tenir longtemps en haleine. En moyenne, j’ai passé de une  à parfois trois heures sur chaque mission. Il y a donc de quoi faire. Mais si en plus on y ajoute les badges à récolter en remplissant des objectifs précis dans les dites missions, et que l’on augmente la difficulté au maximum, il y aura alors vraiment de quoi s’amuser pendant un bout de temps. D’autant plus que sur les treize niveaux répondant à l’appel, aucun ne se ressemblent. Bien évidemment, on y retrouve parfois certaines similitudes. Comme la carte du Mont Tsuru que l’on va parcourir deux fois, mais heureusement de manière très différente à chaque occasion . Aussi, en terme d’atmosphère et de gameplay, il n’y a par conséquent pas lieu à s’inquiéter d’un quelconque manque de diversité.

Shadow Tactics réussit donc son pari avec sa recette de confiture faite dans de vieux pots. Et elle s’avère délicieuse cette confiture. Certains se verront sans doute allergiques à son côté intransigeant. Ils le trouveront peut-être trop rigide dans son approche pointue de l’infiltration qui ne laisse aucune place au hasard. Il jouit en effet d’un game et level design d’une précision redoutable que j’ai rarement réussi à prendre en défaut. Il y a bien des endroits où berner l’intelligence artificielle devient possible en finissant par empiler les cadavres. Mais dans l’ensemble, il faut savoir faire fonctionner ses méninges. A celles et ceux qui ont pris goût à l’assistanat récurrent de certains jeux d’aujourd’hui, ce qui n’est pas une critique, n’y comptez pas trop avec celui-là. Mais faites donc l’effort de lui donner sa chance. Il s’est avéré étonnamment accrocheur et passionnant.


Shadow Tactics: Blades of the Shogun est un Commandos-like qui a réussi avec brio à se créer sa propre identité, servie par une esthétique soignée, et un gameplay exigeant et élaboré avec beaucoup de justesse. Une bonne durée de vie et une difficulté élevée mais pas imprenable, font qu’ils ne sera pas pour tout le monde à priori. Cela serait triste tant il a à offrir en terme d’amusement. Véritable jeu de réflexion en temps réel, il constitue l’une des bonnes surprises de cette fin d’année, et l’un des meilleurs jeux d’infiltration et tactique du moment.

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