Celeste

L’année commence à peine que débarque déjà Celeste, un jeu à l’aspect si innocent qu’on serait tenté de le sous-estimer. C’était sans compter sur Matt Thorson qui, depuis Towerfall (2013), a décidé de bien s’entourer afin de lui créer un successeur spirituel. Le jeu de Matt Makes Games est bien parti pour s’offrir une place de choix dans la cour des grands.


La montagne, ça vous gagne

Celeste, c’est l’histoire de Madeline, qui décide sur un coup de tête de se mettre à l’alpinisme, et de gravir la montagne Celeste, réputée comme mystérieuse et dangereuse. Vos deux seuls outils : un dash (qui permet à votre personnage de se jeter à corps perdu dans une des huit directions du stick), mais aussi la possibilité de vous accrocher aux parois. Ces deux principales caractéristiques du gameplay resteront presque immuables tout au long du jeu. Le cœur de Celeste réside dans ses niveaux, dont l’assaisonnement change d’un monde à l’autre : tandis qu’un passage vous forcera à jouer avec l’inertie de certains blocs, un autre vous confrontera à des rafales de vent tenaces. A la manière d’un alpiniste dont les muscles sont progressivement sculptés par l’effort, chaque niveau viendra polir vos réflexes et votre capacité d’improvisation face au danger. Les centaines de morts qui vous attendent sont, comme le jeu le souligne lors des écrans de chargement, une occasion pour vous d’apprendre et de vous améliorer.

La comparaison avec Super Meat Boy est vite évidente, de par l’enchaînement des tableaux et des objets à ramasser dans chacun d’entre eux. Les différences sont cependant notables. Par rapport aux bandages de Super Meat Boy, les fraises à ramasser sont plus visibles, plus souvent mises en avant et présentées comme le but secondaire de certains pans entiers des niveaux.

Une autre différence évidente est que, là où l’histoire de Super Meat Boy restait un prétexte et un hommage, Celeste fournit l’effort supplémentaire d’offrir une réelle caractérisation à ses personnages.



Dépression atmosphérique

On comprend bien vite que si Madeline a décidé de gravir la montagne Celeste, c’est parce qu’elle fuit ses problèmes. Une longue fuite verticale qui permet de justifier une ascension progressive, à travers des niveaux tout en hauteur. Passant d’une ville abandonnée à un hôtel en ruine, la bonne idée du jeu est de pousser la métaphore encore plus loin, en intégrant les démons intérieurs de Madeline au gameplay du jeu. La lutte devient alors aussi bien mentale que physique, transformant la fugue en évasion. Le combat de Madeline contre sa dépression et son anxiété peut alors être associé à la frustration du joueur face à l’échec et au cycle perpétuel difficile à surmonter.

Les personnages que vous allez rencontrer sont tous influencés à leur manière par la montagne, et leur relation avec Madeline sera amenée à évoluer au fil du jeu. Les dialogues sont d’ailleurs illustrés via des dessins très expressifs qui sont là pour appuyer les émotions des personnages. Ce mélange de style ne choque pas vraiment (le jeu lui-même étant en 8 bits, dans la même veine que Towerfall), et participe beaucoup à l’overdose de mignon qu’est Celeste.

A noter tout de même quelques soucis de lisibilité dans le 4ème monde, où certains éléments dangereux du décor peuvent passer pour de l’herbe inoffensive, rendant ainsi certains passages assez contre-intuitifs au premier abord.

La musique quant à elle, passant du piano au synthé, souligne parfaitement les moments de contemplation et les phases d’angoisse. Les faces B des niveaux (des versions alternatives des niveaux classiques qui passent la difficulté quatorze crans au-dessus) sont accompagnées de remix des thèmes classiques par des grands compositeurs de musique de jeux indépendants (Ben Prunty et Jukio Kallio, pour ne citer qu’eux). La qualité de la bande sonore s’en retrouve sublimée, à tel point que mourir deux cent fois d’affilée n’a jamais été aussi agréable.

Le danger de Celeste, cependant, c’est de vouloir le prendre dans ses bras, lorsqu’on le voit arriver avec son petit anorak et ses fraises, avant qu’il ne nous pousse par-dessus la falaise, sur les rochers saillants en contrebas.



Mistral gagnant

Le studio Matt Makes Games a décidé de transposer tout ce qui faisait le sel de Towerfall et de le placer dans un nouvel écrin : le précision des déplacements des personnages, mais aussi la fluidité et la simplicité du gameplay. Cette simplicité est souvent sublimée par les mécaniques introduites à chaque monde. C’est une économie de moyens qui fonctionne parfaitement : là où d’autres jeux essaient de se réinventer à chaque pas, au risque d’en devenir superficiels, Celeste connaît ses forces et sait les approfondir progressivement. Le socle du gameplay reste le même : c’est à vous de réussir à vous adapter et à apprécier les subtilités des mécaniques. Le jeu n’hésite pas non plus à vous prendre au dépourvu, en vous habituant par exemple à un enchainement de sauts, jusqu’à ce que vous soyez pris au piège par vos propre habitudes sur l’écran suivant. La clé de la réussite est de toujours rester sur ses gardes, et d’être prêt à improviser.

L’utilisation du dash est poussée très loin. Peu importe les nouveaux éléments introduits par chaque niveau, le dash restera le fil conducteur et l’atout dans votre manche. C’est au joueur d’explorer toutes ses fonctions, en l’utilisant parfois pour contrôler un bloc du décor, parfois pour corriger une trajectoire in-extremis.

Un bon jeu de plateformes est souvent un jeu d’énigmes qu’il faut résoudre à la sueur de ses mains. Une fois la solution trouvée, il n’y a plus qu’à mettre ses muscles en accord avec son cerveau. Une frustration pourrait en théorie rapidement se faire sentir, liée à la répétition et à l’échec constant. Mais la fluidité de son gameplay, la vitesse de réapparition de Madeline et la simple joie de son maniement permet à Celeste d’éviter cet écueil. On ne peut en vouloir à un jeu juste ; la cause de l’échec provient alors de sa propre (in)compétence.



Les K7 du K2

La multitude de challenges proposés donne au jeu une certaine accessibilité. Des cassettes cachées dans chaque niveau vous ouvriront les portes des faces B, des niveaux alternatifs bien plus exigeants. Et une fois ces faces B terminées, d’autres surprises vous attendent. Ces niveaux bonus n’ajoutent pas de nouvelles mécaniques, mais poursuivent l’exploration de celles déjà mises en place. La créativité du level-design continue de surprendre, et donne au joueur la sensation d’avoir affaire à un jeu très complet, avec aux commandes des développeurs qui souhaitaient vraiment pousser leur concept jusqu’au bout. La difficulté, dans les derniers niveaux, repose sur l’endurance du joueur. Les tableaux sont moins nombreux, mais chacun d’entre eux est bien plus long, et il devient difficile de s’entraîner sur un enchaînement de sauts en particulier sans avoir à refaire le trajet entier à chaque fois. Compléter Celeste à 100% vous demandera au moins une vingtaine d’heures.

Pour les joueurs plus novices, un mode « assisté » permet de modifier la vitesse du jeu et l’endurance de Madeline afin de profiter tout en douceur des niveaux. Pour les joueurs plus acharnés, quelques outils pour le speedrun sont intégrés de base au jeu (un chronomètre pour chaque niveau, notamment).


Celeste est un jeu aussi mignon qu’il est intransigeant. Le nombre de fraises à récolter ainsi que les niveaux bonus ont de quoi rassasier les plus affamés. Ceux qui cherchent un jeu de plateforme exigeant ne seront pas déçus, mais découvriront également une histoire touchante, qui sait intégrer les moments forts de sa narration à son gameplay.

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