Tyranny

Obsidian quitte un instant les vertes contrées de Pillars of Eternity pour un peu plus de soleil en nous faisant voyager dans des landes en proie à la guerre. C’est de l’autre côté de la barrière qu’on ira faire un tour cette fois-ci en incarnant un des sbires du seigneur maléfique du coin pour ce qui s’avère être à la fois un jeu de rôle traditionnel sur le fond, tout en s’essayant pourtant à quelques nouveautés. Par le verbe, il s’affranchira de certains codes. Par l’épée, il faillira quelque peu malgré quelques bonnes idées. Sous l’égide de Paradox son éditeur, avec Tyranny, cette fine équipe signe-là un essai intéressant en mettant plutôt l’accent sur l’évolution sociale que guerrière de notre futur champion(ne).



Le Seigneur du Mal

L’écran titre de Tyranny m’accueille de son thème principal. Toujours sous la plume de Justin Bell, la bande-son se fait au gré de rythmiques aux sonorités graves avec ses percussions lentes et fracassantes, ses cordes lancinantes, comme autant de témoins de l’atmosphère lourde qui pèse sur le jeu. Les musiques ne sont qu’une partie de l’iceberg, tout en apportant énormément à une ambiance très réussie. Graphiquement, il s’en sort aussi confortablement en gardant la patte du studio, avec cette 3d isométrique réaliste et détaillée. Sauf que cette fois-ci, la verdure est plus éparse tandis qu’un aspect rocailleux prédomine ses paysages. L’inspiration semble cette fois-ci plus méditerranéenne. J’en veux pour preuve tout un ensemble d’indices allant dans cette direction.

Le style vestimentaire, les armures et même les armes, ou encore les architectures qui habitent ces terres rappellent un semblant de Grèce voire de Rome antique. Tyranny est sous une influence à laquelle la fantasy classique ne nous a pas forcément habitué, en dehors de ré-interprétations de la mythologie olympienne. Les noms aussi prennent une place d’autant plus importante qu’ils sont souvent directement connectés à ces deux anciennes civilisations d’importance. Kyros, Tunon ou encore Nerat sont autant d’origine latine que les noms de quelques unes des personnalités parmi les plus importantes du jeu. Et plus exactement en ce qui concerne Kyros.

Ce dernier est le ou la Chef Suprême. Un être aux pouvoirs incommensurables qu’il est difficile à définir tant il ou elle ne se montrera pas, tout en étant omniprésent de par son incomparable puissance. Il/elle peut ainsi d’un édit prononcé par un de ses scelleurs du destin, bouleverser une terre par le feu, les tempêtes et bien d’autres calamités encore. Il est au cœur même de l’intrigue qui nous concerne, puisque nous serons justement l’un de ses scelleurs. Kyros est un seigneur à la personnalité complexe même si pourtant étrangement nos échanges avec sa personne seront constamment indirects. Par la guerre et la conquête, il impose une paix qui porte son nom. Et étant à son service, notre rôle sera de la faire respecter.



De la magie fait maison

Je passerai rapidement sur la création de mon personnage. La formule est connue et passe par une succincte personnalisation de son physique et l’allocation de points à différentes statistiques qui malgré leur nomination ne tromperont pas le vétéran du jeu de rôle. Il n’y a pas non plus de classes à proprement parler si ce n’est la possibilité de déterminer que fut son passé, qui deviendra simplement une ligne directrice pour sa progression future. Un choix qui n’a cependant pas d’immense intérêt outre pour sa persona. Car de toute manière, les confrontations n’y sont guère insurmontables et encore moins passionnantes.

Ce n’est pourtant pas la faute à un système de création de sorts original. Ainsi, en récoltant divers parchemins, si le niveau de compétence de votre personnage s’avère suffisant, vous apprendrez de nouveaux sigles. Ils sont au centre de cette création personnalisée de notre magie. Leur conception démarre par le choix d’un sigle élémentaire comme le feu ou la glace. Un secondaire devra être sélectionné pour déterminer la manière dont il sera lancé, pour finir par différents sigles de renforcement de leur portée, puissance ou durée, ou encore l’ajout d’effets secondaires comme le saignement. Faire soi-même nos propres sorts est une très bonne idée qui nous implique bien plus dans des combats, qui n’en reste malheureusement pas moins indigents en raison de leur aspect brouillon.

La plupart du temps, on a plus l’impression d’assister à une bagarre chaotique qu’à une bataille rangée. Heureusement, il est souvent possible d’éviter d’en venir aux mains et de résoudre bon nombre de situations par les mots plutôt que par les poings. Un point positif, étant donné que l’évolution de notre personnage et l’accès à de nouvelles compétences passe ici par sa façon d’interagir avec autrui. C’est d’ailleurs l’une des forces de Tyranny, qui tout en restant dans son cœur un jeu de rôle traditionnel, décide d’un autre côté de mettre plutôt l’emphase sur le côté social et humain en s’appuyant beaucoup plus sur le dialogue que le bruissement métallique de ses épées.



Conquête et conséquences

Sur ces promesses d’enchevêtrements scénaristiques, il va s’écrire une intrigue très particulière qui passera par trois étapes principales. La première posera une pierre à cet édifice en vous faisant passer par un moment important bien que subsidiaire, s’appelant le mode conquête. Ce dernier relate les trois années du conflit avant que Kyros ne le remporte et n’impose ses lois aux Tiers. Il se déroule sur la carte de ce monde tandis que vont s’enchaîner plusieurs événements majeurs y ayant potentiellement pris place, comme dans une sorte de livre dont on serait le héros. En tant que membre important des armées de Kyros, vous serez alors amené à décider où votre mission vous mènera et surtout quelle issue sera pour chaque. De cette façon, quand le jeu commencera réellement, les Tiers seront dès lors façonnés par ces mêmes décisions. Aussi bien les esprits qui les habitent que les cicatrices laissées dans le flanc de ces terres seront affectés par elles.

Vous aurez plusieurs choix à votre disposition allant du plus simplet pacifisme à la guerre totale. Parfois, les solutions ne seront pas forcément manichéistes. On dit souvent qu’il est impossible de ne pas se salir les mains dans une guerre, et ce premier contact avec Tyranny ne le démentira pas. Il n’y a parfois pas de possibilités claires et nettes. Juste du gris s’étalant sans concession nous laissant seul avec notre moralité et notre conscience. Derrière les dialogues parfois appuyés d’une certaine théâtralité, les acteurs de cette pièce dramatique montrent leur réalité sous un jour assez simple et complexe à la fois. S’il conserve cette grandiloquence de beaucoup d’œuvres de fantasy, Tyranny, c’est également des morceaux de vie qui semblent sincères, lui offrant ce supplément de cohérence. Son côté très terre à terre lui donne cette qualité d’être prenant et passionnant.

Il ne s’agit pourtant pas d’un pamphlet contre les conflits armés. Ni même d’une critique contre un mal supposé. Bien évidemment, les méthodes de Kyros sont discutables. Mais il faut se souvenir que les Tiers sont familiers de la violence. Eux-mêmes présentés comme des victimes à priori, cachent une sorte de fierté et de volonté de se défendre, certes, mais par le sang et le combat. La paix de Kyros qui devait effectivement être ce qu’elle sous-entend, assortie d’une forme d’obéissance à cette puissance supérieure, est aussi quelque part injuste pour les hommes et les femmes se rêvant libres de choisir leur destin, plutôt que de vivre dans une paix factice et restrictive. Ce qu’il y a de beau dans cette histoire, c’est qu’il n’y a pas vraiment de juste milieu. Ainsi en ayant pris le temps de parler avec la plupart des personnages non jouables ou nos compagnons, on découvre qu’il existe de nombreuses perspectives à prendre en compte.



Rivalités ancestrales

La seconde partie prend pied avec le premier acte. Nous arrivons directement dans les Tiers avec de nombreux problèmes à résoudre. En tant que scelleur du destin, nous serons un peu comme un Judge Dredd dans la pampa. Nous serons à la fois policier, juge et parfois bourreau. Ce rôle est celui des gens œuvrant pour la Justice de Kyros appliquée par son archonte Tunon, et de fait notre supérieur. Un différent oppose depuis de nombreuses années les deux principales factions se trouvant au sein des armées de Kyros. D’un côté se trouve les valeureux Défavorisés menés d’une main de fer par l’archonte Ashen Grave. La barbe grisonnante, le vieil homme n’en reste pas moins un guerrier admiré et redouté par ses pairs comme ses ennemis. Très vite on se rend compte qu’il serait un homme d’honneur et aussi de son attachement pour ses troupes.

De l’autre, derrière un masque aux multiples visages, se trouve un homme, ou peut-être une chose mystique. Nerat Polyvoix pourrait très bien être un maître de l’espionnage. Son groupe s’appelle le Choeur Ecarlate, qui contrairement aux Défavorisés qu’ils abhorrent, ne répondent pas vraiment à une hiérarchie classique ou à l’honneur. Non, non, non. Ils répondent plutôt par le sang et ne valorisent que la force de caractère comme physique. Les sournois et les esprits calculateurs vont loin dans cette faction. Ce qu’a l’air de tout particulièrement affectionner Nerat. Il n’hésite pas à recruter chez l’ennemi quitte à risquer qu’ils se retournent un jour contre eux. Peu lui importe, car la vie de ses soldats n’a pas de valeur à peu importe quels seraient ses véritables yeux.

Des deux, celui qui m’a fasciné le plus, c’est Nerat. C’est une personnalité trouble qui cache bien des secrets dont on aimerait trouver la clé. Dans ce jeu des masques et des faux semblants, il va falloir trancher dans les innombrables querelles qui vont animer ces deux factions durant cet acte fondateur pour la suite à venir. Il s’agit aussi sans doute de la plus importante entaille dans un jeu qui jusque-là nous promettait si peu d’interventionnisme en nous laissant décider de l’avenir de ces terres. Or, il va falloir à un moment donné ou à un autre, donner raison à l’une des deux factions en vous mettant à dos l’autre. Faire un tel choix ne veut pas pour autant dire en préférer une plus que l’autre, mais pourrait aussi vous servir en vous rapprochant pour mieux enquêter sur les malversations de Ashen ou Nerat. A vous de voir.



Trouver sa place

La grande force de Tyranny se trouve dans son histoire et dans les multiples possibilités qu’elle peut nous offrir. Il en va aussi de ce système de réputation, qui vous permet outre de débloquer d’inédites compétences passives ou bien actives, de modifier nos rapports avec nos compagnons comme avec les autres factions. Ainsi, selon nos actions, ils pourront nous respecter, nous admirer ou au contraire nous craindre, voire éprouver de la colère envers nous. Cela dépendra principalement de la relation qui s’installera entre eux et nous. Notre réputation avec chacun de ces groupes pourra être positive comme négative avec forcément des effets très différents. Il est donc important de peser certaines réponses selon notre désir de renforcer ou non nos relations avec tel ou tel individu. Il est cependant amusant des les voir nous reconnaître selon la façon dont le mode conquête se sera déroulé.

Car en mettant les combats de côté, le dialogue est vraiment l’élément principal de ce jeu, en nous permettant de construire des chemins narratifs intéressants et inédits d’une partie à l’autre, jusqu’à bien évidemment avoir épuisé toute possibilité de variations de ceux-ci. Néanmoins, ce libre arbitre n’est que d’apparence. Il y a toujours un script et un fil invisible qui ne nous permet pas toujours d’être totalement en contrôle de tout. Il peut arriver que le dialogue, à cause de certaines décisions passées, nous propose des réponses correspondant à notre état d’esprit, mais affublées au devant d’une mention indiquant que notre personnage ment. Alors que intérieurement, ce n’est pas vraiment ce que l’on ressent. On ne veut pas mentir. Dans ces moments de solitude, on se retrouve confronté aux limites d’un système. Cela pourtant ne nous empêchera pas d’apprécier à leur juste valeur ces échanges verbaux capables de nous apporter ce sentiment, même faux, que l’on maîtrise la situation, et quelque par le destin de notre héros ou héroïne.

Même si combativement parlant, j’aurais pu espérer quelque chose de plus pointu et passionnant, Tyranny est aussi et avant tout le récit d’un monde en pleine mutation et bordé d’incertitude concernant un avenir que nous serons amenés à construire au travers de notre progression. C’est aussi une fable sociétale d’un univers fantastique qui s’écarte des poncifs du bien contre le mal. Il s’attarde plus volontiers à décrire des problèmes qui nous parlent plus à nous, les humains du monde réel. Il lui reste une part de grandiloquence propre au genre, mais derrière les apparats, on découvre des lieux cohérents à la culture et l’histoire riche qui sans la magie et quelques créatures imaginaires, auraient pu être crédible dans notre propre réalité. Loin, d’être parfait, il réussit quand même à donner un véritable visage à des pays qui bougent et vivent au rythme de leurs conflits internes perpétuels et de leur impact sur la vie de tous les jours de monsieur et madame tout-le-monde. Même si quelque part, sans trop en dire, se dessine également les traits d’un grandiose destin pour nous, bercé dans du fantastique plus conventionnel que la résolution de soucis d’ordre géo-politiques.


Tyranny est une œuvre fascinante à bien des égards que l’excellence de sa bande-son ne saurait me faire mentir. Sa durée de vie n’est pas commune. Car elle s’allongera inexorablement par plusieurs parties pour en découvrir les multiples possibilités d’un scénario à embranchements, que malheureusement des combats assez peu passionnants viennent entacher. En dépit de ce que ses sorts à la Do It Youself auraient pu nous laisser croire. Il reste cependant doté d’un univers riche et accrocheur qui font instantanément de lui un jeu de rôle à adopter. Les discussions que l’on y poursuit avec une galerie de personnages charismatiques valent à elles-seules ce détour par les Tiers.

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